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Théobalt RUEMELI

 

« Tu ne luttes pas contre la mort

en ensevelissant les cadavres »

Antoine de Saint-Exupéry

 

 

 

Théobald…

Été 1914. Rue du Ladhof à Colmar. À quelques encablures du cimetière de la ville, Théobald Ruemeli travaille dans l’atelier de tailleur de pierres fondé par son grand-père il y a cinquante ans. Aujourd’hui c’est son père que le dirige. Théobald est un beau jeune de 22 ans. Il est svelte, imberbe. Son regard perçant est parfois traversé par un voile d’inquiétude et sa bouche est brièvement tombante.

len ladhof 1912

Dans les belles journées estivales, il aime porter un canotier en paille à ruban noir. Il lui donne des allures de grand adolescent. Il est l’ainé d’une famille de sept enfants. Une sœur, Marguerite, est décédée il y a trois ans, à l’âge de 14 ans, victime d’une intoxication alimentaire. Il lui reste Alice 14 ans, Jeannette 12 ans, Lucie 11 ans, Marthe 4 ans et Robert 1 an.

 

La ville de Colmar s’est agrandie et embellie depuis qu’elle a été annexée à l’Empire allemand en 1871. Elle dispose d’une nouvelle poste depuis 1893, d’une nouvelle église, celle de Saint-Joseph, depuis 1900.

 len colmar eglise st joseph poste bains

En 1906 deux nouveaux bâtiments supplémentaires ont été inaugurés : l’imposante Cour d’Appel et les clinquants bains municipaux. En 1907 s’est ajoutée la nouvelle gare.

len colmar cour d'appel color

Colmar a aussi assis sa position de ville de garnison. Les casernes se sont multipliées au nord et à l’ouest de la ville. Les militaires sont passés de 1200 hommes en 1880, à 5200 en 1913. Le nombre de fonctionnaires de l’enseignement et de l’administration d’origine allemande a beaucoup progressé aussi. Au fil des années une apparente concorde s’est installée entre les nouveaux venus Allemands et les Colmariens, français de souche. Au début du mois de mai de cette année 1914, beaucoup de Colmariens ont attendu avec impatience le passage de l’Empereur allemand, Guillaume II, venu participer à des exercices militaires dans le massif vosgien. L’empereur avait bonne mine à son passage, mais il avait l’air sévère. La population continue à parler le dialecte alsacien, assiste à des cultes protestants ou à des pièces de théâtres en français. Tant que les sujets ne sont pas politiques, l’administration allemande se montre ouverte. Mais c’est bien l’allemand qui est la langue officielle. Depuis le premier jour de l’annexion, les Alsaciens sont soumis à l’école publique obligatoire pour y apprendre l’allemand dès l’âge de 6 ans. Comment s’y retrouver. Les attitudes de revendication, de compromis, d’intégration et de rejet se mêlent. Chacun est tiraillé. D’un côté la poussée assimilatrice du Reichsland, de l’autre l’attachement nostalgique à la France et au milieu de tout cela la défense de l’identité alsacienne dont la langue est le refuge le plus puissant et le plus intime.

Théobald qui a vu le jour le 11 mai 1892 est au cœur de ces injonctions contradictoires pour la recherche d’une identité. Comme ses parents et ses frères et sœurs, il est né Allemand. Ses grands-parents maternels, eux, sont nés dans une Alsace française. Ses grands-paternels sont nés en Allemagne. Partis de Rinklingen et de Gottmadingen, dans le Land du Bade-Wurtemberg, ils ont émigré à Colmar vers 1865. C’est là qu’ils se sont rencontrés et mariés en 1867.

En ce milieu d’année 1914, les Colmariens développent de multiples projets : une grande fête artisanale, une campagne de promotion de la ville, la publication d’un livre d’art sur la région, un calendrier de photographies des Vosges, une série de publications littéraires et de récits de voyage sur l’Alsace. Le puissant syndicat des hôteliers-restaurateurs des Hautes-Vosges pense même 1914 sera une belle année pour la fréquentation touristique.

Théobald est enthousiaste lui aussi. Il s’est fiancé avec Émilie. Comme lui elle est de Colmar, comme lui elle est née Allemande. Sa voie est toute tracée : bientôt il va se marier et un jour il reprendra les rênes de l’entreprise familiale.

 

Le dimanche 28 juin 1914, il fait beau sur Colmar et sa région. Les jeunes catholiques de la paroisse Saint-Martin partent pour leur sixième sortie annuelle dans le massif du Petit-Ballon.

len neuland colmar copie

Beaucoup de Colmariens se promènent au Neuland et alentour. D’autres assistent au concert d’une fanfare au Champ de Mars. À 1300 kilomètres de là, dans les Balkans, la journée s’annonce aussi sous les meilleurs auspices. L’archiduc François-Ferdinand, prince héritier de l’Empire austro-hongrois et son épouse Sophie Chotek, duchesse de Hohenberg, commencent une visite de Sarajevo sous les vivats. Au milieu de la foule, il y a des nationalistes serbes. Ils refusent la domination austro-hongroise en Bosnie-Herzégovine, annexée en 1908. Arrivé devant le couple, l’un d’eux doit faire feu. Au dernier moment, il n’ose pas tirer. Un autre lance une bombe. Elle rebondit sur la capote de la voiture de l’archiduc et explose sans atteindre sa cible. Revenu à l’hôtel de ville de Sarajevo, François Ferdinand insiste pour poursuivre sa visite officielle. Par précaution, une modification de l’itinéraire est organisée à la hâte, mais le chauffeur n’en est pas informé. Lorsque l’entourage du visiteur de marque réalise l’erreur, le convoi est arrêté pour que soit engagé un changement de route. L’un des assaillants en profite pour repasser à l’attaque. Il grimpe sur le marchepied du véhicule, fait feu deux fois sur le couple. François-Ferdinand et sa femme sont tués. Sur tout le continent européen, actualités filmées, radio et journaux relatent l‘événement.

Dans beaucoup de foyers, les discussions s’animent sur les suites politiques et diplomatiques que connaîtra l’attentat et sur la période qui s’ouvre. Pour les uns c’est l’excitation fébrile, pour les autres c’est la peur de privations. À la campagne, c’est l’accablement. Les blés sont murs, prêts à être récoltés. Si la guerre est déclarée, les bras vont manquer.
En Allemagne, la détermination, la fierté, l’esprit de sacrifice dominent. Un nouveau sentiment de communauté se développe, ressenti comme libérateur. Pour beaucoup d’Allemands, prendre des positions radicales à l‘égard des nations ennemies est la seule issue. Les articles de presse se multiplient pour affirmer que la guerre s’achèvera par un triomphe rapide. L’exubérance patriotique s’installe. L’assassinat de l’archiduc donne au gouvernement impérial allemand le prétexte qu’il attendait pour orchestrer un imbroglio diplomatique de plusieurs semaines. Il souhaite la guerre, mais veut en rejeter la responsabilité sur la Russie. En prévision il a déjà instauré un impôt de guerre.

len spandau 5ème grenadier garde

Dans un tel climat, Théobald Ruemeli décide de quitter Colmar pour rejoindre le 5e Régiment d’infanterie de la garde. C’est un régiment de réservistes, des volontaires soucieux de participer à la défense de l’Allemagne. La garnison est à Spandau à quinze kilomètres à l’Ouest du centre de Berlin. Ce régiment va acquérir la réputation d’être l’un des meilleurs de l’armée allemande et sera engagé dans certaines des batailles les plus importantes de l’Empire.

 

Dès son arrivée à Berlin début juillet 1914, Théobald commence la rédaction d’un carnet. Alors que la guerre n’est pas encore déclarée, il l’intitule : « Mes expériences de la guerre 1914 ». Sous le titre, il ajoute le verset 5 du Psaume 37 : « Recommande ton sort à l’Eternel, Mets en lui ta confiance, et il agira. » Dans ses premières notes, Théobald écrit : « Les désaccords ont conduit à la guerre. L’attitude de la Russie conduit à la guerre ». Le 31 juillet, il ajoute que le Kaiser Guillaume II « va enfin déclarer la guerre ». Il se montre impatient et enthousiaste.

Dans Berlin, centre du pouvoir politique du Reich allemand et l’un des endroits où l’avenir de l’Europe se dessine, la foule descend chaque jour dans la rue. Elle cherche des nouvelles fraîches, échange des informations ou exprime son opinion. Certains Berlinois paniqués, retirent leur argent des comptes épargne ou essayent d’échanger leurs billets de banque contre des pièces d’or ou d’argent dont la valeur est plus stable Le 31 juillet 1914, les banques de Berlin sont assaillies. Une partie de la population constitue des réserves de denrées alimentaires, dont les prix flambent déjà. Certaines boutiques ferment en raison de l’encombrement. Aucune influence officielle n’est nécessaire pour mobiliser intellectuellement la population berlinoise en faveur de la guerre.

len spandau litho

Le samedi 1er août 1914, Théobald Ruemeli est dans sa caserne de Spandau. À dix-huit heures avec cinq à six cents autres réservistes, il assiste au discours du Comte Schulenburg-Wolfsburg, commandant de bataillon. Il porte le casque des officiers du 5ème Régiment d’infanterie de la garde : crâne en cuir noir, raccords plaqués argent, rapace à larges ailes portant l’étoile émaillée de l’ordre de l’aigle noir. L’officier supérieur décrit la situation en peu de mots. L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. La mobilisation générale est décrétée. Il ajoute : « Je sais que les fusiliers que vous êtes feront leur devoir ». Théobald écrit : « Trois hourras clôturent ces quelques minutes exaltantes ».

Dans Berlin, la prise d’assaut des magasins d’alimentation s’accentue. De jeunes hommes et des adolescents entonnent des chants patriotiques. Ils rayonnent de joie et agitent leurs chapeaux. Ces cortèges sont récupérés et utilisés dans des publications patriotiques pour prouver qu’il existe bien en Allemagne une vaste exaltation pour la guerre. Les comédies patriotiques connaissent de gros succès sur les nombreuses petites scènes des théâtres populaires de la ville. Elles ont pour thème principal le sursaut national en Allemagne et le départ des soldats au front. Des chants sont composés. Ils sont intitulés Immer fest druff  (Toujours fermement), Der Kaiser rief (L’empeur nous appelle) ou Die Waffen her (Donnez-nous des armes). Ces air ont un fort impact sur toutes les couches sociales.

Dans la moindre commune du Reichsland, la mobilisation générale s’affiche. L’Alsace, allemande depuis quarante-trois ans maintenant, est soumise au même régime. 220 000 Alsaciens et Mosellans, nés entre 1869 et 1897 doivent se rendre dans leurs casernes d’affectation pour y être incorporés, tant sur le front Ouest que sur le front Est, en fonction de leur régiment d’affectation. Seuls 3000 d’entre font de la résistance et franchissent la frontière française. Le père de Théobald fait partie des incorporés. Il a 42 ans. Il laisse derrière lui, rue du Ladhof à Colmar, sa femme Caroline et ses cinq enfants.

Le 2 août 1914, Théobald écrit : « Premier jour de la mobilisation. Différentes corvées. Nous avons reçu notre approvisionnement ». Ce jour-là, l’empire allemand exige de la Belgique qu’elle laisse passer son armée sur son territoire afin de pouvoir combattre la France. Au nom de sa neutralité, la Belgique refuse cet ultimatum le 3 août. Au même moment, Théobald et les hommes du 5e Régiment d’infanterie de la garde sont équipés. « Nous sommes dans de tout nouveaux uniformes de combat, qui sont neufs jusque dans le plus petit pli ».

 

Cet équipement comprend une vareuse et un pantalon en tissu de laine couleur Feldgrau. La veste compte des boutons dorés et une bordure rouge sur les deux rabats, le col et toutes les extrémités. Sur les épaulettes sont cousues au fil rouge le numéro du régiment. S’ajoute le casque à pointe figure, emblématique militaire allemand qui équipe tous les soldats. Il est en cuir bouilli et en métal pour les ornements. Pendant les combats, il doit être recouvert d’une toile kaki. Lui aussi porte en rouge le numéro du régiment. Théobald reçoit aussi une casquette, Feldmütze en allemand, qui n’est portée que lors des phases de repos. L’équipement est complété par un ceinturon avec sa boucle, deux cartouchières contenant environ cent cinquante munitions, une pelle et son étui, et une baïonnette pour le fusil Mauser, modèle 1898.  Il a une cadence de tir rapide, avec ses clips de cinq cartouches de 7,92 × 57 millimètres, à introduire dans le magasin. Avec un recul plutôt faible, ce fusil portait loin et il était bien plus précis que le Lebel français. S’ajoute le paquetage. Il pèse quinze kilos. Un calot avec bandeau et cocardes, une tunique, un brassard, deux cravates de col, un pantalon de drap, deux slips, un manteau, une paire de gants, une paire de botte, une paire de brodequins, deux chemises en laine, un casque avec sa housse, un sac à dos, un sac de matériel de campement, un ceinturon avec boucle et porte baïonnette, trois sangles pour manteau, un sac à pain, une dragonne, une cartouchières, un outil de tranchée, un huilier, un chiffon, une gamelle et ses couverts, un sac à sel, une plaque d’identité, deux boites à café, un livre de chant, un livret de solde, deux paquets de pansement, un passe montagne, deux paires de chaussettes en laine, une ceinture de flanelle, deux couverture en laine, une serviette, une bourse de poitrine, trois portions de fer, un outil de nettoyage et d’entretien du fusil.

Ce même jour, lundi 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. En quelques jours environ trois millions cinq cent mille Français et quatre millions d’Allemands sont mobilisés. La reconquête de l’Alsace-Lorraine devient le thème majeur de la propagande française et son principal but de guerre. De nombreuses affiches françaises représentent Alsaciennes et Lorraines attendant le retour de la France. En réaction, l’Allemagne insiste sur l’appartenance historique de l’Alsace-Lorraine à l’aire germanique et affirme sa volonté de défendre l’intégrité de son territoire national.

col de la schlucht 43ème rég Tal

Déjà, la 43e division d’infanterie française occupe le Col de la Schlucht et descend en direction de la vallée de Munster avec l’intention de marcher sur Colmar, où se trouve la mère, les frères et sœurs ainsi que la fiancée de Théobald. Lorsqu’ils regardent vers l’Est, ils ont peur pour leur fils, frère, amoureux engagé dans l’armée allemande. Lorsqu’ils regardent vers l’Ouest, ils ont peur des tirs à venir de l’armée française.

Dans les rues de Berlin, les voies de fait se multiplient sur les étrangers ou sur ceux que l’on tient pour tels. Les Suisses et les Américains, pris pour des Français ou des Anglais, en sont les premières victimes. Des Russes, des Anglais et des Français vivant à Berlin sont déjà considérés comme des ennemis. Ils sont arrêtés et conduits en colonnes vers des camps d’internement. L’atmosphère devient hystérique. Des rumeurs alimentent la peur de la présence d’espions ennemis.

Le 5 août, Théobald participe avec son régiment à un contrôle de véhicules dans Berlin. Il faut trouver des officiers français, soupçonnés de transporter de l’or à destination de la Russie. Le même jour, Théobald est satisfait de l’arrivée incessante de nouveaux réservistes et des exercices de combats concluants réalisées avec eux. Le 8 août, il prend part à des essais de tirs. Il atteint une cible dix-sept fois et se réjouie : « J’espère que nous toucherons les pantalons rouges aussi bien ». Il parle de l’armée française, vêtue de la sorte au début de la première guerre mondiale et qui songeait déjà à libérer sa ville natale de Colmar de la joute allemande. D’ailleurs, le vendredi 7 août 1914, le XIe Corps français porte une attaque sur l’Alsace avec pour objectif de s’emparer de Mulhouse et de Colmar. L’offensive relève autant d’un impératif psychologique pour reconquérir la terre perdue et retrouver les enfants de la Nation que d’une nécessité stratégique. Il faut d’une part occuper les crêtes vosgiennes, les cols et si possibles les vallées vosgiennes ; d’autre part lancer l’assaut par le Sud. De ce côté-là, l’offensive rencontre dans un premier temps une faible résistance allemande, le gros des troupes étant stationné de l’autre côté du Rhin.

Théobald n’a aucun contact avec sa famille et sa fiancée, qui commencent à vivre des heures sombres. Les magasins d’alimentation de Colmar sont assiégés, les journaux sont soumis à la censure. Il est interdit de quitter la ville sans autorisation. Des civils dénoncés par des indicateurs sont déjà arrêtés. Les Colmariens font leur devoir vis-à-vis des Allemands et les traitent parfois comme des amis. Ils secourent également des Français. Avant 1871, les plus âgés ont servi dans l’armée française et la vue d’un Français réveille leur amour pour leur ancienne patrie. D’autres ont de la famille en France. C’est clandestinement que l’on donne aux Français. Alors qu’elle est surprise en train de tendre du pain à un prisonnier français affamé, une Colmarienne est brutalement repoussée par une baïonnette et dénoncée à la police.

 

Le 9 août 1914 Théobald vit son dernier dimanche à la garnison de Spandau. Il défile devant le maréchal général Karl Von Bülow. Le regard noir, le visage austère, barré par une épaisse moustache, le commandant de la IIème Armée allemande affiche sur son poitrail ses nombreuses médailles décrochées notamment lors de la guerre franco-allemande de 1870. Son port altier est aussi un héritage de sa noblesse prussienne. À 68 ans, il est prêt sans sourcilier pour de nouveaux combats. Sa seule présence galvanise les troupes. Il ne dit rien, ni de ses plans, ni des combats en cours, ni de la destination de ces hommes devant lui. Quelques heures plus tôt, il a reçu une communication télégraphique de Belgique : « Général von Emmich entré à Liège le 7 août à 7 heures 45 minutes du matin. Gouverneur en fuite. Evêque prisonnier. Liège évacuée par les troupes belges, citadelle de Liège occupée par nos troupes ; pas de renseignements sur forts pris ». Le message est mensonger. Les Belges résistent de façon inattendue à la soudaine attaque allemande. Il faudra encore neuf jours aux troupes allemandes pour s’emparer de Liège. Prochain objectif Namur, soixante kilomètres au Sud-Ouest. L’objectif allemand est clair : via la Belgique prendre à revers l’armée française qui avance vers l’Est et l’enfermer dans une nasse avec les troupes traversant le Rhin, l’Alsace et la ligne de crête vosgienne. La rupture du traité de neutralité de la Belgique et le passage en force des premières troupes allemandes déclenche l’entrée en guerre du Royaume-Uni, un des pays garants de l’indépendance belge.

len 10 aout 1914 colmar

Théobald Ruemli note sobrement dans son carnet. « Le 5e régiment d’infanterie de la garde est prêt à partir ». Deux jours plus tard, le mardi 11 août 1914, il touche sa première solde et participe aux ultimes exercices à Spandau et à Haselhorst à trois kilomètres au nord-est.
Mercredi 12 août 1914. 14 h 30. C’est le départ pour le front. L’enthousiasme initial de Théobald cède la place à la mélancolie et à l’inquiétude. « Nous sommes couverts de fleurs et de rameaux. À l’avant il y a le drapeau et la musique militaire. Beaucoup d’yeux sont humides en nous voyant marcher en musique vers la gare Ouest de Berlin. Pour aller où, personne ne le sait.  Gardelegen, Hanovre, Hamm, Hagen, Eberfeld, Barmen, en direction du Rhin. Qui sait, si nous nous reverrons. Qui reviendra ? ». Il reproduit les premiers mots de l’air folklorique allemand le plus populaire : « Faut-il donc, faut-il donc, que je sorte de cette petite ville ». La suite des paroles est encore plus douloureuse : « Tu pleures, tu pleures, je marche comme si l’amour était fini, mais je reste fidèle à toi ». Emilie, à huit cents kilomètres de là, est dans les pensées de Théobald.

À Colmar, la ville est quadrillée par une multitude de barrages militaires. La suspicion règne partout. Elle se transforme souvent en haine. La population ne sait plus vers qui se tourner. Qui sont les ennemis ? Qui sont les libérateurs ?

Dans le train parti de Berlin, Théobald écrit : « Le convoi s’arrête dans la plupart des gares moyennes. De gentilles filles nous donnent du café, de la limonade, des gâteaux, des petits pains et des cigares.  Trois ou quatre fois, nous recevons des repas complets. Un enthousiasme que l’on aurait eu du mal à imaginer nous accompagne sur tout le trajet. Vers le Rhin, les gares et les passages à niveau sont assiégés par une foule qui nous fait de grands signes ».

Le vendredi 14 août à 21 heures le convoi traverse le Rhin près de Cologne. Théobald note dans son carnet : « Nous croisons un train avec les premiers prisonniers belges. Nous tous voulons tous être des Gardiens ». Sans le savoir, le jeune sculpteur, devenu membre du 5e Régiment d’infanterie de la garde intégré dans la IIe Armée allemande, fait partie des 107 000 hommes que le maréchal général Karl Von Bülow est en train de diriger vers Namur.

Le samedi 15 août, après trente-neuf heures, le train bondé de militaires en provenance de Berlin arrive à son terminus, Junkerath, à quatre-vingt-dix kilomètres au Sud-Ouest de Cologne. Il va falloir se rendre à pied à 150 kilomètres de là, plein Est, à Namur, capitale de la Wallonie. Après une première marche de six kilomètres, les hommes arrivent à l’Eifel-Blick « Kalvarienberg », situé dans le petit village d’Alendorf. À 517 mètres d’altitude c’est un point d’observation naturel sur les environs. Le paysage est fait d’une alternance de collines boisées et herbeuses. Théobald raconte : « Une demi-heure après notre arrivée, notre hôte nous présente du café, mais impossible de trouver dans tout le village un bout de pain, sans parler d’une bière. À 21 heures, couvre-feu. On dort excellemment dans la paille ».

Au terme de cette journée, à cent kilomètres de là, la bataille de Liège débutée dix jours plus tôt se termine par la prise des douze forts par les 55 000 soldats allemands, sous les ordres du général Otto von Emmich. La bataille de Dinant va commencer dans la foulée.
Au même moment, les soldats français du 152ème Régiment d’infanterie prennent Soultzeren et Stosswihr aux Allemands qui s’y étaient fortement retranchés.

Deux jours plus tard, c’est l’entrée dans Munster. La progression sur Colmar s’annonce difficile, d’autant que les nouvelles concernant Mulhouse au sud sont douloureuses. Le 8 août, les troupes françaises du Général Bonneau avait pris Mulhouse. Dans la foulée, des avions avaient lancé des tracts sur la ville signés du généralissime Joffre . « Enfants d’Alsace, après 44 années d’une douloureuse attente, des soldats français foulent à nouveau le sol de votre noble pays. Ils sont les premiers ouvriers de la grande œuvre de la revanche. Pour eux, quelle émotion et quelle fierté. Pour parfaire cette œuvre, ils ont fait le sacrifice de leur vie ! La nation française unanimement les pousse et dans les plus de leur drapeau sont inscrits les noms magiques de droit et de liberté. Vive l’Alsace. Vive la France ». Dès le lendemain les troupes allemandes avaient contracté. Les Français s’étaient repliés sur Belfort dans un désordre indescriptible et les Allemands avait repris la maîtrise de Mulhouse et de tout le Haut-Rhin. Le Général Bonneau a été limogé dans la foulée.

Le dimanche 16 août à l’aube, Théobald Ruemeli et ses camarades quittent Alendorf. À sept heures, la troupe passe Stadtkyll. Elle a déjà deux heures de marche dans les jambes. La progression vers l’Ouest se poursuit jusqu’à 15 h 30 toujours plein Ouest en direction de la frontière belge jusqu’à Moderscheid. Malmedy et la Belgique sont à quinze kilomètres.
Le lundi 17 août. « Alarme à 3 h 30 du matin, départ sous une pluie battante ». Après le passage de la frontière belge près de Malmédy, les soldats allemands arrivent à Stavelot. Théobald note : « C’est un joli petit village frontalier. Les habitants sont aimables, mais tout est recouvert d’un sérieux surprenant, on remarque vraiment qu’on est en pays ennemi. Après la pause de midi, la marche reprend. Vers le soir, par un chemin de montagne difficile, nous arrivons chez un fermier à Réhârmont ». Douze kilomètres de plus ont été couverts, auxquels s’ajoutent la vingtaine de la matinée.

 

Le mardi 18 août ce sont 42 kilomètres qui sont à couvrir jusqu’à Chardeneux. « La marche est longue et difficile. On monte, on descend jusqu’à ce que ça n’aille plus. Nous devons faire plusieurs haltes. Nous traversons cinq ou six villages. Tout est déjà occupé. Nous prenions nos quartiers à Chardeneux. Nous sommes enfin couchés vers 23 heures », souligne Théobald.

Le lendemain, mercredi 19 août. II écrit : « À 11h, départ de Chardeneux, toujours plus loin par le Défilé des Ardennes. Marcher avec le paquetage dans la chaleur est devenu une vraie torture. Vers 17 h nous mangeons à toute vitesse à Huy pour repartir aussitôt. Apparemment, Huy a été défendu.

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Le pont sur la Meuse a été détruit et a été remplacé par un pont provisoire construit par nos pionniers. Le drapeau allemand flotte sur le château. Huy est une belle ville de montagne qui occupe les deux rives de la Meuse. Vers 1h30 de la nuit, bivouac dans un champ d’avoine près Huy ».

 

Ce 19 août, une partie de la deuxième armée allemande, dont fait partie Théobald Ruemeli, a déjà atteint la ville d’Andenne, une douzaine de kilomètres plus loin. Là aussi le pont sur le Meuse a été détruit par le génie belge pour retarder l’offensive ennemie. Tout au long de la journée, les troupes allemandes s’entassent dans le centre de la petite ville et y consomme de l’alcool. Les habitants ne sont pas inquiétés. Seuls le bourgmestre et le doyen de la collégiale sont gardés en otage.
Le jeudi 20 août, à vingt kilomètres de là, le siège de Namur commence. Depuis cinq jours, le commandement belge de la position fortifiée de Namur s’attendait à un contact avec les armées allemandes. Des avions ennemis survolaient la ville. Des localités de plus en plus proches de la ville cessaient de répondre aux appels téléphoniques. Au soir du 18 août, le Roi Albert Ier avait décidé de replier l’armée de campagne vers Anvers, car la pression exercée par de fortes masses allemandes sur les troupes belges devenait trop dangereuse. Les neuf forts qui entourent la ville se retrouvent isolés, en première ligne, face à 400 pièces d’artillerie allemandes. Ces forts ont été érigés en moins de trois ans, entre 1888 et 1891, afin de défendre la neutralité du pays contre les velléités françaises ou allemandes qui étaient susceptibles d’emprunter la vallée de la Meuse. Les forts doivent couvrir de leurs tirs les voies de communication qui convergent vers la ville. Une voie ferroviaire provisoire de 100 km a été construite pour les relier le temps des travaux. Quatre millions de mètres cubes de terre ont été déplacés et un million de mètres cubes de béton ont été coulés. Mais en ce début de guerre, les forts sont commandés pour l’essentiel par des officiers retraités. Leurs pièces d’artillerie, à la pointe du progrès en 1890, sont déjà dépassées tant par leur calibre que par leur portée. De plus, elles utilisent encore de la poudre noire qui provoque à chaque tir un nuage très dense de fumée. Une trentaine seulement de mitrailleuses équipe l’ensemble de la position fortifiée. Les moyens de communication à l’intérieur et vers l’extérieur de la place sont insuffisants. Les fils téléphoniques, mal enterrés, sont trop vulnérables et les liaisons sont partielles. L’aviation n’apporte guère d’assistance. En pratique, il est impossible de coordonner l’action des forts et de leur offrir une couverture réciproque.

len obusier allemand

Les forts subissent les premiers tirs de l’artillerie lourde allemande provenant d’Autriche-Hongrie. L’engagement de l’infanterie, dont fait partie Théobald, suivra. Avec ses camarades, il progresse à couvert en profitant des rives boisées de la Meuse et de ses affluents. Ce 20 août, Théobald est à vingt kilomètres à l’Ouest de la capitale Wallonne, du côté de Seilles, petite localité sur les berges de la Meuse. Là, vers 18 h, des coups de feu retentissent. La panique se répand parmi les soldats allemands qui sont entrain de traverser le fleuve. Ils reculent dans le désordre dans les rues d’Andenne, commune qui fait face à Seilles, sur l’autre rive du fleuve. Là aussi des fusillades éclatent. Les habitants des deux localités sont considérés comme des francs-tireurs alors que les premiers tiers provenaient sans doute de soldats belges embusqués voire même de combattants allemands ivres.

Théobald écrit : « On a tiré sur des patrouilles. Une patrouille d’officiers de huit hommes a même été prise pour cible. Nous recevons l’ordre de fouiller la région. Nous trouvons des fusils dans différentes maisons. Les hommes sont arrêtés et emmenés ». Théobald n’en dit pas plus.

Depuis des semaines les soldats ont été chauffées à blanc, d’abord par la presse allemande, ensuite par l’état-major, sur la participation des civils belges aux combats et leur propension à prendre des armes. Les troupes allemandes sont convaincus qu’elles risquent d’être attaquées par des tireurs embusqués, constitués en armées, commandées par des élites civiles et religieuses. Après les coups de feu sur des patrouilles, l’objectif allemand est de faire un exemple. Les maisons d’Andenne et de Seilles sont vidées de leurs habitants, pillées et incendiées. Des familles sont exterminées sur place. D’autres sont rassemblées sur la Place des Tilleuls d’Andenne.

len andenne place des tilleuls

Là, un capitaine allemand sépare les hommes et les femmes. Les suspects sont identifiés par une croix dans le dos. Ils sont dirigés vers les rives de la Meuse et abattus. Jules Camus , bourgmestre d’Andenne, est lui-même exécuté. Au total, 262 hommes sont tués. Le plus jeune d’entre eux a 15 ans. Il a été abattu à Seilles au milieu d’un groupe de dix hommes.

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Le 20 août, Théobald Ruemeli termine sa progression à Vezin. C’est à sept kilomètres au Sud-Ouest de Seilles en direction de Namur. Il écrit : « Vers deux heures du matin, l’artillerie recommence à tirer. Nous creusons des tranchées. Notre compagnie est presque entièrement de garde ». Trois bataillons français arrivent dans la position fortifiée de Namur et sont directement dirigés vers le secteur nord-est pour y défendre les intervalles. C’est là que se trouve Théobald. La violence des combats s’accroît encore.

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À Wartet, à quatre kilomètres à l’ouest de Vezin, le général Edouard Michel, qui fait figure de héros de la défense de Namur, ordonne une contre-attaque par les troupes belges et françaises. Elles sont décimées par l’utilisation des mitrailleuses et des canons de campagne ennemis, solidement retranchés. La résistance est désespérée.

À Colmar, la famille de Théobald Ruemeli et Emilie sa fiancée vivent dans une angoisse permanente et une incertitude totale. Ils ne savent pas où se trouve Théobald, se demandent même s’il est encore en vie et s’interroge sur leur propre sort. Le 19 août la 81e brigade et cinq bataillons de chasseurs de l’Armée d’Alsace ont passé le col de La Schlucht pour se diriger sur Colmar. Il espérer aborder la ligne Colmar – Neuf-Brisach le 21 août mais le groupement est arrêté par une brigade allemande retranchée.
Au même moment, Théobald reprend sa progression en direction de Namur avec les troupes allemandes. Il écrit : « À midi, nous nous arrêtons dans une ferme. L’artillerie a tiré toute la matinée sans interruption. Nous mettons en place des fils de fer barbelés et construisons des tranchées au cas où nous serions attaqués la nuit. Toute la zone autour de Namur a été désertée. Les habitants ont tout laissé derrière eux. Vaches, porcs, volailles divaguent. Un grand nombre de bouteilles de vin se trouvent dans la ferme. Elles sont distribuées au sein de la Compagnie. Beaucoup de belles poules finissent dans des casseroles. Le soir, bivouac dans le verger de la ferme ».

len grosse bertha obusier de siège

Pendant ce temps à Namur, dans les forts de Maizeret, d’Andoy et de Cognelée les coupoles sont toutes hors service. Elles n’ont pas pu rivaliser avec les obusiers Skoda de 305 mm, les canons Grosse Bertha de 420 mm. De plus les soldats belges retranchés dans les forts avaient peu de provisions et les latrines, les cuisines et la morgue se trouvaient dans la contre-escarpe, exposés aux tirs et ouverts aux infiltrations de l’assaillant allemand. Les fortifications ont pourtant retenu l’avancée allemande plus longtemps que ce qu’avaient pensé l’état-major Belge.

 

Le samedi 22 août 1914, Théobald reprend son carnet comme il le fait depuis son entrée dans le 5e Régiment d’infanterie de la garde. Cela ne fait que dix jours qu’il a quitté Berlin et seulement cinq jours qu’il est en Belgique. Au petit matin, il note : « Le tonnerre de l’artillerie nous tire de notre sommeil. Un village fortement occupé par l’ennemi est pris pour cible ». Son écriture est la même que celle sur toutes les pages antérieures : petite, appliquée, penchée vers la droite, sans la moindre rature. Cette fois pourtant, il est plus lapidaire que tous les autres jours.

Ce jour-là à midi quarante-cinq, le général Von Bulow ordonne que le Régiment de la garde « doit s’avancer au sud, jusqu’à la rivière la Sambre et la commune de Mettet, tout en se couvrant contre Namur ». Il ne laisse aucun répit aux hommes. Alors que le siège de Namur n’est pas terminé, il fixe déjà un nouvel objectif à 30 km au Sud-Ouest de l’autre côté de la capitale wallonne.

Après un petit espace blanc laissé dans son carnet, Théobald reprend la plume. Cette fois les lettres sont exagérément grandes, écrites d’une main lourde, tremblante, épuisée. « Près de Namur 3 blessures par des tirs Adieu au revoir à Berlin Un baiser pour Emilie ». Le texte ne comporte aucune ponctuation.

 len cognelée rue eglise copie

Théobald a été blessé au Fort de Cognelée. Des neufs forts qui entourent Namur, c’est celui qui est le plus au Nord. De forme triangulaire, il est à sept kilomètres du centre-ville, à l’écart du village de Cognelée, directement à proximité de l’ancienne gare de ce village. À deux kilomètres à l’Ouest, au lieu dit Jette Foolz se trouve un grand corps de ferme, précisément sur le territoire de la commune de Cognelée. Le chef de l’unité de Théobald décide de s’y rendre pour la prise en charge des blessés et la réorganisation ses troupes. La ferme fait face à d’immense prés. Pas très loin, à 700 mètres, les tranchées belges sont encore occupées. Des artilleurs belges viennent escalader le mur d’enceinte de la ferme et font feu en direction de cavaliers allemands, avant de disparaître. Après dix-neuf heures, les militaires allemands investissent à leur tour les lieux avec les blessés dont Théobald. Les soins sont rudimentaires. Pendant toute la première guerre mondiale, un blessé sur deux meurt.

len ferme et château jette-fooz

Les occupants de la ferme sont ligotés puis emmenés vers un proche bois pour y être fusillés. Eux aussi sont considérés comme des francs-tireurs. Vers deux heures du matin, des mitrailleuses belges font déguerpir tout le monde. La nièce des fermiers de Jette-Foolz est la première à s’enfuir. Elle est stoppée par un soldat Allemand. Il lui brise une jambe et la tue d’un coup de baïonnette. Les autres se cachent dans les froments.

Plus bas, dans le carnet de Théobald il est écrit : « Le propriétaire de ce livre est tombé devant le Fort de Cognelée (Namur) et a été enterré près de la ferme Jette-Foolz par les hommes du 3ème bataillon du 4ème Régiment de Fusiliers avec les honneurs militaires ». Le tout est signé par le lieutenant de l’unité.

 

Le cimetière est aménagé sommairement un peu à l’écart de la ferme. Son périmètre est matérialisé par une balustrade formée de troncs de bouleaux et par une croix de guerre allemande. Quelques pots de fleurs sont ajoutés. 44 soldats allemands identifiés et 3 soldats inconnus sont enterrés là.

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Plus tard, ils seront rejoints par les corps de 42 soldats belges et français. Au total, le siège de Namur aura coûté la vie à 15 000 soldats belges. 6 700 soldats belges et français sont faits prisonniers. Côté allemand on dénombre 900 victimes dont 300 morts.

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Ce 22 août 1914, jour de la mort de Théobald Ruemeli, les combats de l’armée française se cristallisent autour d’Ingersheim, verrou de la ville de Colmar.

Ce même 22 août 1914, foudroyée par la puissance de feu de l’artillerie allemande, l’armée française vit les heures les plus sanglantes de toute son histoire : 27 000 soldats sont tués au cours de cette seule journée. Les Allemands eux-mêmes recensent 10 000 tués. Les morts sont enterrés sur place à la hâte sans sépulture individuelle. Beaucoup de blessés sont abandonnés sans soins et parfois achevés par l’ennemi dans un esprit de vengeance.

Toujours en ce 22 août 1914, les civils paient un lourd tribut à la guerre. 383 Belges sont tués à Tamines, près de Charleroi, par les Allemands. Certains sont exécutés au nom des représailles contre d’hypothétiques francs-tireurs, d’autres sont utilisés comme boucliers humains. Des femmes sont violées.

len général von bülow

Le maréchal-général Karl von Bülow, devant lequel Théobald Ruemeli avait défilé à Berlin, est directement tenu pour responsable des massacres de civils belges, notamment à Andenne. Il est considéré comme un criminel de guerre. Il mourra en 1921 à 75 ans, sans avoir été jugé.

 

Quelques jours plus tard, la mère de Théobald, ses frères et ses sœurs, sa fiancée Emilie sont informés de son décès. Son carnet de guerre leur est envoyé. Début décembre 1917, le père de Théobald, incorporé dans l’armée allemande dès l’annonce de la mobilisation, il est grièvement blessé aux combats. Il est envoyé dans un hôpital, à Bad Ems à côté de Coblence.

len hopital bad ems

Prévenue par les autorités, Caroline sa femme, couvre les trois cents kilomètres depuis Colmar pour venir à son chevet. Il décède le 12 décembre 1917. Caroline à 45 ans.

La première guerre mondiale lui a pris son mari et son fils ainé. Elle se retrouve seule avec cinq enfants de 17, 15, 14, 7 et 4 ans. Elle ne se remariera jamais.

La dernière feuille du carnet de guerre de Théobald Ruemeli comporte une tache rouge. Elle traverse toutes les pages.

 

 

Dans les années 1970, suite à la construction d’une autoroute, le petit cimetière de Jette-fooz est démantelé et les sépultures furent déplacées vers la Nécropole allemande située à Vladslo en Flandre.

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Article appartenant à Francis Guthleben