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GENERAL PAUL-FRANÇOIS GROSSETTI (Photo de Henri Manuel) 10/09/1861-07/01/1918
(Matricule 47857)
SOMMAIRE
- Biographie
- Etat de services
- Détail des Campagnes
- Décorations
- Blessures de guerre
- Hommages
- Ils parlent de lui
- Couverture de magazines 9. Photo
- Le « five o’ clock » du général
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Biographie
Bien que né à Paris 20ème le 10 Septembre 1861, le général Grossetti était un Ajaccien. Il habitait Cours Napoléon à Ajaccio avec sa grand-mère et sa sœur. Il aura donc assisté à deux guerres opposant la France à l’Allemagne, ce ne sera bien sûr que pendant la deuxième, la der des ders, qu’il s’illustrera, et de quelle façon.
Le général Paul-François Grossetti, est le fils d’un Corse prénommé Paul-François Grossetti, né le 12/01/1821, Capitaine au 44ème Régiment de ligne a la Caserne Prince Eugene à Paris, originaire du village de Grossetto-Prugna en Corse-du-Sud et décédé le 11/06/1873 à Bastelica. Sa mère, Anna Félicité Colonna né le 04/05/1839 à Thionville est décédé à Paris le 20/11/1870.Sa sœur Anna Ange Marie naît le 20/04/1860 à Ajaccio. Le 12 Février 1903, il se marie à Paris avec Castagneto Marianne-Constance, mais n’ont jamais eu d’enfant.
Après des études au collège Fesch à Ajaccio, c’est de là qu’ il partit en Octobre 1871, pour aller faire ses études au Prytanée militaire de la Flèche, ou il avait été admis comme fils d’officier décoré et à la suite du concours annuel des bourses. Il est reçu à la prestigieuse école de saint Cyr en 1879 (fondée par Napoléon Bonaparte un autre corse en 1802) à dix-huit ans, il termine troisième sur 357 de la 64ème promotion (promotion des Drapeaux) en 1881, comme sous-lieutenant d’infanterie.
Il poursuit fort logiquement une carrière militaire qui l’emmène entre autres en Afrique et en Asie. De 1881 à 1885, Grossetti étrenne ses galons de sous-lieutenant au 2ème Régiment des Zouaves, en Algérie.
Apres avoir été envoyé au Vietnam ou il participe à une campagne au Tonkin et au Cambodge entre 1885 et 1886, promu capitaine il suit les cours de l’Ecole supérieure de guerre du 21 Avril 1890 au 1er Novembre 1893, il a 25 ans et sort avec un brevet d’état-major avec la mention « Très bien » (numéro 12 sur 81 élèves).
A la mobilisation en 1914, lorsque débute la première Guerre Mondiale, Paul-François Grossetti, la cinquantaine passée, est désormais général d’état-major de la 3ème armée et, au lendemain de la bataille de Charleroi (Belgique), il est nommé commandant de la 42ème division d’Infanterie. A partir de cette date, les évènements se précipitent. Il prend une part glorieuse à la bataille de la Marne, et à la bataille des Flandres. En Septembre 1914, c’est la Fère-Champenoise, et le 30 octobre, la bataille de l’Yser (ses hommes, le surnomment le « taureau de l’Yser » ou pour venir en aide aux troupes Belges qui fléchissent près de Nieuport, il lance ses hommes en direction de Slype et Westende.
A cette époque à Lectures pour tous, le General Foch aurait dit de lui en 1915 : “Mes généraux : d’Urbal, de Maud’huy, des héros; Grossetti, invulnérable. Toujours sous la mitraille, au milieu des balles. Elles ne le touchent pas. Quel homme ! Et maintenant songeons à l’avenir. De grands évènements se passeront sous peu. “
Une déclaration qui semble-t-il n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd puisque cette opération lui vaut quelques jours plus tard d’être fait Grand officier de l’ordre de Léopold par le roi des Belges Albert 1er et également cité à l’ordre de l’armée française.
On raconte qu’au cours d’un violent accrochage, le 12 novembre 1914, il s’est tenu tranquillement assis sur une chaise devant la gare de Pervyse, d’où il a suivi les péripéties de la bataille. Au-dessus de la localité, le ciel est noir de mitraille et les schrapnells éclatent de toutes parts. Un autre témoignage, celui d’un officier de renseignement britannique, le major Baird, confirme la réputation de Paul-François Grossetti, son sang-froid et son flegme. Venu lui demander s’il ne serait pas prudent de prévoir un plan de retraite, le major Baird s’entend répondre après que le général Grossetti l’eut fort civilement invité â s’asseoir : « Ai-je l’air de quelqu’un disposé â s’en aller ? Dans Grossetti, il y a gros », les déplacements me sont pénibles ». Et le major Baird de conclure son récit :
« Ce Grossetti est un très correct gentleman, mais de fréquentation dangereuse ».
Cité à l’ordre de l’armée le 4 avril 1915 et promu général de division, il est affecté â l’état-major général de l’armée le 20 avril il a 53 ans.
Il participe â la bataille de Verdun et début 1917, il est transféré en Grèce pour occuper le poste de commandant en chef de l’armée française d’Orient. Dans le cadre de cette mission, il prend sa part dans les succès remportés contre le front germano-bulgare. Faits d’armes qui lui vaudront le 1er octobre de la même année, la croix de grand officier de la Légion d’honneur. Ce grand soldat qui a tant contribué à la victoire finale ne connaîtra pas l’armistice du 11 novembre 1918. Il meurt à son domicile 29, rue des Volontaires, à 56 ans le Lundi 7 Janvier 1918, miné par la dysenterie. Nul, mieux que le général en chef Foch, n’a dépeint la personnalité guerrière de ce personnage hors du commun :
« Ce fut en définitive un homme de guerre complet : rapidité de conception, sûreté d’exécution, solidité à toute épreuve, rien ne lui manquait des qualités d’un grand chef. Une armée peut être fière d ‘avoir des chefs comme Grossetti » Des obsèques nationales au Père Lachaise récompenseront notre compatriote ardent défenseur du sol de la France.
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Etat de services
. Elève à l’Ecole Spéciale Militaire de St. Cyr du 31/10/1879 au 22/03/1880 . Elève de 1ère classe à l’Ecole Spéciale Militaire de St. Cyr du 23/03/1880 au 05/10/1880 . Sergent-fourrier à l’Ecole Spéciale Militaire de St. Cyr du 06/10/1880 au 30/09/1881 . Sous-lieutenant au 2eme régiment de Zouaves en Algérie du 01/10/1881 au 27/10/1885 . Lieutenant au 94eme régiment d’Infanterie du 28/10/1885 au 29/08/1886
. Lieutenant au 92eme régiment du 30/08/1886 au 30/06/1887
. Lieutenant au 2eme régiment de Zouaves du 01/07/1887 au 01/10/1891
. Capitaine au 2eme régiment de Zouaves du 02/10/1891 au 30/11/1891
. Capitaine (Stagiaire à l’état-major de l’armée) du 01/12/1892 au 26/04/1893 . Capitaine au 142eme régiment d’Infanterie (Maintenue stagiaire a l’état-major) du 27/04/1893 au 08/01/1895
.Hors cadres, officier d’ordonnance de Mr. le Général Giovanninelli, commandant le 3eme corps d’armée a Versailles du 09/01/1895 au 19/04/1896
. Capitaine au 28eme régiment d’Infanterie à Rouen du 20/04/1896 au 06/10/1899 . Chef de Bataillon au 155eme régiment d’Infanterie a Commercy du 07/10/1899 au 21/07/1902 . Chef de Bataillon a l’état-major de la 13eme Division d’Infanterie du 22/07/1902 au 21/12/1906 . Lieutenant-Colonel au 159eme régiment d’Infanterie à Briançon du 22/12/1906 au 23/12/1910 . Colonel au 26eme régiment d’Infanterie à Nancy du 24/12/1910 au 29/08/1914 (en janvier placé hors cadres et nommé membre du Comité d’état-major)
. Général de la 42eme Division d’infanterie du 30/08/1914 au 06/11/1914
. Général du 16eme Corps d’Armée a Montpellier du 07/11/1914 au 12/01/1917 . Général de l’armée française d’Orient du 01/02/1917 au 30/09/1917
Observations:
. A contracté un engagement volontaire le 24/10/1879 à Toulon
. A suivi le cours de l’Ecole régionale de tir du Camps de Châlons en 1883 et a obtenu à sa sortie la 34eme place sur 74 élèves.
. A suivi les cours de l’Ecole supérieure de Guerre du 1er Octobre 1890 au 31 Octobre 1892 et a obtenu le brevet d’état-major avec la mention “Très bien »
. A effectue un stage au 6eme régiment d’Infanterie du 1 Janvier au 1er Octobre 1909
3. Détail des Campagnes
– A fait partie des colonnes destinées a réprimer des mouvements insurrectionnels sur le territoire Algérien du 26 octobre 1881 au 18 janvier 1885 et du 27 juillet au 29 octobre 1890. – Au Tonkin du 19 Janvier 1885 au 26 Juillet 1887
– Verdun Aout 1914
– Marne Septembre 1914
– Yser Octobre 1914
– Macédoine Avril 1917
– Monastir
– Florina
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Décorations
Médaille commémorative de l’expédition du Tonkin
Chevalier de l’Ordre royal du Cambodge le 16 Octobre 1887
Chevalier de l’Ordre du Dragon d’Annam le 21 Avril 1889
Médaille Coloniale avec agrafe Algérie le 26 Juillet 1893
Chevalier de la Légion d’honneur le 27 Décembre 1893
Officier de la Légion d’honneur le 10 Juillet 1913
Grande croix de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges le 8 Décembre 1914
Croix de grand-officier de l’ordre de Léopold le 26 Décembre 1914
Commandeur de la Légion d’honneur le 3 Janvier 1915
Grand Officier de la Légion d’honneur le 6 Octobre 1917
Croix de commandeur avec plaque de l’ordre du sauveur le 6 Octobre 1917
L’ordre de l’armée (Ordre du 9 avril 1915)
Grossetti, général de division, commandant un corps d’armée: appelé du 23 octobre au 2 novembre a renforcer les troupes alliées aux prises avec des forces ennemies supérieures, a multiplié les actions offensives de sa division. Par son activité, sa ténacité, son esprit de décision et son grand courage personnel, a rétabli des situations compromises et contribué très efficacement à l’échec des attaques allemandes. Placé, le 7 novembre, en pleine bataille, a la tête d’un corps d’armée très éprouvé, est parvenu par son énergie et son action personnelle, aux points et aux moments les plus critiques, a briser l’offensive ennemie dans son secteur.
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Blessures de guerre
Il a été blessé le 27 Octobre 1885 sur la partie supérieure du pied en présence de rebelles amis, lors d’une reconnaissance, par un petit piquet de bambou formant une défense accessoire en avant d’un village au Tonkin.
6. Hommages
FUNERAILLES DU GENERAL GROSSETTI (photo de l’Agence ROL) (Le cortège arrive au cimetière du Père-Lachaise, le 11 janvier 1918)
Le Conseil Municipal de Paris, au moment de la mort du général Grossetti, a estimé que la Ville de Paris se devait à elle-même d’honorer la mémoire du glorieux chef qui, à la tête de la 42e division d’infanterie, avais joué le rôle décisif que l’on sait, le dernier jour de la bataille de la Marne, et avait ainsi puissamment contribué à sauver la Capital. Le Bureau a décidé d’accorder pour sa sépulture une concession perpétuelle de 2 mètres au cimetière du Père-Lachaise.
Ajaccio : La statue du général Grossetti (sources Corsica News)
STATUE DU GENERAL GROSSETTI DE LA VILLE D’AJACCIO
(Offerte par le roi Albert 1er, en mémoire de la bataille de l’Yser)
Inaugurée le 15 Septembre 1924, la statue du général Grossetti est l’un des monuments incontournable de la ville d’Ajaccio même si, présentée dans une enceinte militaire, bien rares sont ceux qui peuvent l’approchée.
Cela n’a pourtant pas toujours été le cas.
La statue du général trouve abri en effet dans la cour intérieure de la caserne Grossetti, boulevard Albert 1er à Ajaccio, laquelle fort logiquement close par une grille empêche le visiteur de pénétrer sans y avoir été préalablement autorisé. Le fait que la statue réalisée en hommage d’un des derniers génies militaires d’origine corse se trouve placée ainsi sur un terrain dépendant de l’administration de la défense pourrait ne pas choquer si l’on oublie que lors de sa mise en place elle trônait dans un espace ouvert au public, ce qui n’est bien entendu pas le cas aujourd’hui.
La statue du général est une commande réalisée auprès d’un sculpteur français Louis Henri Bouchard (né à Dijon en 1875 et décède à Paris en 1960) qui a réalisé également la statue représentant le buste du général que l’on retrouve dans le village de Grossetto Prugna (village d’origine du père du général, sur la rive sud du golfe d’Ajaccio) ou encore celle du cimetière du Père Lachaise ou il est enterré.
Comme il en est fait mention sur son piédestal elle fut offerte en son hommage par la Belgique (Albert 1er, roi des belges, tenant le général en haute estime comme nous avons eu l’occasion de voir), la ville de Paris (qu’il a contribué à préserver par actions sur le front de la Marne) et la Corse (souscrite populaire), immédiatement sous la statue de face est visible la légende ‘’reconnaissantes au général Grossetti, héros de la Marne et de l’Yser’’ (NB : les deux faces latérales du piédestal de granite font apparaitre les gravures suivantes : ‘’Marne septembre 1914, Yser octobre 1914, Champagne 1915, Verdun 1916, Orient 1917’’).
La statue en bronze, dont la première esquisse est conservée au musée Bouchard à Paris, sera installée dans le courant de l’année 1923 sur la place Miot d’Ajaccio, une polémique serais née (et justement à notre avis, et selon une de nos sources) entre la population de la ville, ses édiles d’une part et l’administration de la défense d’autre part lorsque cette dernière entreprit de construire la caserne Grossetti (années 1970), chacune des parties revendiquant la pleine propriété de l’œuvre d’art accusant l’autre de tentative éhontée d’appropriation ; lors de la réalisation des travaux la statue fut, comme vous vous en doutez, déplacée de quelques mètres et passa de la place Miot à l’enceinte militaire, l’armée avait donc eu gain de cause.
Il nous apparait (c’est une hypothèse) que la dispute fut réglé par un arrangement tacite des propriétés foncières réciproque suivant le principe : à l’armée la statue, à la ville le terrain.
Paris : Rue du général Grossetti (source Wikipédia)
RUE DU GENERAL GROSSETTI PARIS 16eme
La rue du Général-Grossetti crée en 1932 est une voie du 16e arrondissement de Paris, en France, nommée en l’honneur du général français, qui s’illustra au cours de la première Guerre mondiale.
Monument du Père-Lachaise
BUSTE EN BRONZE DU GENERAL GROSSETTI
D’HENRI BOUCHARD
C’est le 2 Juin 1923 à 15 heures, sous la présidence du Marechal Foch que le monument en mémoire du Général Grossetti fut inauguré au Père-Lachaise. Buste réalisé grâce à une souscription publique ouverte le 29 Novembre 1920 par le corps de la Marine, officiers mariniers, quartiers-maitres et marins.
Marseille : Rue du général Grossetti
Voie privée du 7e arrondissement
Monument de Grossetto-Prugna
BUSTE EN BRONZE DU GENERAL GROSSETTI
D’HENRI BOUCHARD
Monument élevé par la commune de Grosseto (Corse) à la mémoire du général Grossetti, inauguré le 21 Septembre 1924 sous la présidence de M. Sari, sénateur, et en présence d’une foule très nombreuse.
Monument à Westende
MONUMENT AU GENERAL GROSSETTI
DE A. PLAETEVOET
Monument élevé en souvenir du général français Grossetti, inauguré le 24 septembre 1933 en présence du colonel Rinquin, représentant le roi, et M. Hue, sous-préfet de Dunkerque, et de nombreuses personnalités belges et françaises.
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Ils parlent de lui
L’invulnérable (Le Figaro du 09/01/1918 de Louis Latzarus)
Le général Grossetti, qui viens de mourir, j’ai eu l’honneur de le voir, voici bientôt trois ans, sur le front de Champagne, ou il commandait un corps d’armée. Nous ne pouvons passer si près de Grossetti sans aller voir ce phénomène, avait dit familièrement l’officier qui conduisait notre caravane. Et nous avions grimpe jusqu’à son poste de commandement. Mais il n’y était pas, et on nous assura qu’il se promenait.
Il se promenait, en effet, sur une crête voisine. C’était un homme de haute taille, large, fort, robuste, et que les artilleurs ennemis, a quelques centaines de mètres de là, devaient clairement apercevoir. Au reste, il semblait avoir pris toutes ses précautions pour ne point leur être caché. S’appuyant sur sa canne, il allait d’un pas lent et pesant, faisait des gestes, s’arrêtait, repartait… Mais surtout il avait coiffé le képi le plus rouge et le plus dore qu’aucun général ait jamais posé sur sa tête. Grossetti ne se souciait point du bleu-horizon ni des modestes petites étoiles. Des feuilles de chênes étincelantes et le drap le plus écarlate composait un képi fait a la mesure de sa tête, c’est-a-dire d’une ampleur surprenante. On devait voir ce képi-là de trois kilomètres à la ronde. Cependant, derrière la crête opposée, les allemands ne donnaient pas signe de vie. Il ont l’air bien endormi, ce matin, nous dit le général Grossetti. Vous n’avez pas de chance.
Et il se mit en mesure de nous procurer un peu de chance. C’est-a-dire qu’il fit envoyer quelques obus, afin, nous dit-il, de jalonner le front, et de nous permettre de reconnaitre la ligne allemande.
La réponse ne tarda point. Les obus allemands accoururent. Le général, cependant, reprenait sa promenade. Il a tort, me dit un de ses divisionnaires, il exagère: un de ces jours, il se fera toucher. Et avec un pareil képi….
A ce moment, il y eut sur nos têtes je ne sais quel remue-ménages, et le bruit, en effet, de casseroles entre choquées dans les nuages par quelque formidable ménagères. Attention! cria un officier, celui-là est pour nous!
Le général Grossetti s’arrêta et leva légèrement la tête :
Peuh! dit-il, au moins a cinquante mètres!
Une seconde après, l’explosion se produisit a quelque distance, ce qui ne détermina point le général a s’abriter ni à se dissimuler. Il allait, causant avec simplicité, pendant que tombaient les obus. Il ne se contentait pas de les narguer. On eut dit qu’il les aimait. Il était célèbre parmi ses hommes pour avoir fait apporter une chaise sur la ligne de feu, et s’être assis bien tranquillement parmi la canonnade. Mais vainement, aussi bien ce jour-là que dans la suite, les artilleurs ennemis visaient ce gros général et son grand képi. L’un deux, une fois, réussit à faire tomber un obus a quelques centimètres de lui. Quand la fumée fut dissipée, on vit le général debout et qui ne semblait pas troublé. Mais un de ses officiers était tué et un autre blessé.
J’ai senti, dit Grossetti, une haleine de forge, et c’est tout.
En effet, il s’était trouvé juste au centre de l’explosion, et l’éclatement s’était produit autour de lui. Vraiment, il semblait invulnérable.
Entendant raconter ces choses, nous pensions, hochant la tête, qu’un bonheur aussi miraculeux ne pouvait durer, et que le général, quelque jour, serait victime du défi constant qu’il portait au péril. Mais, cet homme qui bravait et narguait la bataille, qui n’était à l’aise nulle part ailleurs comme parmi les explosions, qui provoquait les obus, le destin le réservait a mourir de maladie, dans une chambre silencieuse de Vaugirard.
Le général Grossetti (L’express de Mulhouse du 07/06/1923 de Georges Laurence)
On a inauguré samedi, à Paris, au cimetière du Père Lachaise, très simplement, un monument au général Grossetti qui commanda, au début de la guerre, une des unités d’élite qui contribuèrent le plus à la victoire de la Marne. Le général Grossetti! Voilà un nom qu’il faut graver dans toutes les mémoires. La postérité qui retiendra facilement les noms des grands généraux en chef, dont le commandement a assuré la victoire de nos armes, les Joffre, les Pétain, les Foch, les Fayolle, les Mangin, doit garder aussi pieusement la physionomie des chefs moins éclatants qui furent cependant les bons ouvriers de ces victoires. Les grands commandent; il reste à exécuter et l’exécution, n’est-ce pas toute la bataille, et si nous avions pas eu des exécutants comme le général Grossetti, quel sort les plans les plus merveilleusement conçus aurait-il eux? Grossetti se signala deux fois au cours de la guerre. En septembre 1914, sur la Marne. Foch dirigeait la 9e armée dont la tâche était formidable et qui, mal remise de la secousse de Charleroi, était en partie désorganisée. Le 8 septembre, nous perdons Fère Champenoise. L’heure est grave, Foch n’a plus de réserves. C’est alors qu’il fait appel a la 42e division que commande Grossetti et qui, accrochée opiniâtrement depuis deux jours a Chapton-Montgivroux et Montalard, soutient héroïquement un impitoyable combat, enrayant l’avance allemande. Mais sur la droite de l’armée de Foch, les troupes se replient. Il faut arrêter ce recul. Foch ordonne a Grossetti d’arrêter le combat la ou il a l’avantage pour aller remplacer a droite les effectifs défaillants. Il y a vingt kilomètres a parcourir sous une avalanche de mitraille. Il faut se trouver au point nommé, a Linther, a six heures. A 1 heure prescrite, Grossetti arrive avec ses troupes dans un ordre magnifique. Un avion allemand signale l’approche de ce renfort inattendu: l’armée allemande s’arrête, hésite, fait demi-tour. Nous reprenons l’offensive. La victoire est maintenant certaine.
Grossetti était quelques semaine plus tard sur l’Yser. Octobre 1914. Rude bataille pour détendre la route de Calais. Les Belges ont perdu Ramscapelle. Le front est crevé. Grossetti reçoit l’ordre de reprendre Ramscapelle. Il l’exécute le même jour et sauve la situation.
Très brave, l’héroïque général ne craignait pas de s’exposer aux endroits les plus périlleux pour donner confiance a ses troupes et les entrainer. C’était un soldat de la trempe de Mangin. Quel dommage que la mort nous l’ait enlevé en pleine guerre. Il était de ceux qui ne connaissent pas la défaite. Dans Grossetti, il y a gros, disait-il, et quand je suis quelque part, j’y reste; les déplacements me sont pénible.
Ah! ces Corses! quels soldats magnifique! Ils ont de qui tenir.
La carrière d’un grand soldat (le Gaulois du 08/01/1918 de Lucien Nicot)
Un des chef les plus éminent de nos armées en campagne, le général Grossetti, est mort, hier, à Paris en son domicile, rue des volontaires, à la suite d’une longue et cruelle maladie.
Le général Grossetti, jusqu’au moment où le mal le terrassa, en octobre dernier, n’avait pour ainsi dire pas quitté le front. Au début, il commandait la 42e division, l’héroïque division de Verdun, a la tête de laquelle il prit une belle part a la victoire de la Marne, puis combattit a la première bataille de l’Yser, en novembre et décembre 1914. On retrouve ensuite le vaillant soldat en Champagne et devant Verdun, toujours avec la 42e division. Nommé au commandement du 16e corps d’armée, il assista à toutes les grandes actions du front français jusqu’en janvier 1917, date à laquelle il alla commander les troupes française du front de Macédoine.
Son action, a la première bataille des Flandres, fut prépondérante; placé, en pleine fournaise, a la tête d’un corps d’armée très éprouvé, il parvint, par son indomptable énergie, par son grand courage personnel, par son esprit de décision et sa ténacité, a briser, aux points et aux moments les plus critiques, l’offensive ennemie et a rétablir une situation très compromise.
Il avait été nommé général de division après la Marne, commandeur de la Légion d’honneur après l’Yser et grand-officier en Macédoine. Cette dernière nomination était ainsi motivée: Officier général de haute valeur; commande l’armée française d’Orient avec distinction et sait lui faire rendre tout ce qu’elle peut donner.
A propos de la bataille de l’Yser, on raconte, au sujet du général Grossetti, quelques anecdotes typique. Celle-ci, en autres:
Au plus fort de la lutte, sous le feu terrible de l’ennemi, nos troupes ne semblaient plus pouvoir tenir et, dans les rangs, on parlait déjà de retraite.
Comment, s’écria le général, vous voulez reculer! Mais que ferez-vous de moi? Je suis trop gros pour vous suivre! (Le général était d’un embonpoint remarquable.) Je me sens, d’ailleurs, fourbu; j’ai absolument besoin de m’asseoir. Faites-moi donc donner un siège. On lui apporta un pliant, un pliant solide, et, tandis que les obus allemands continuaient de pleuvoir dru, le général s’assit paisiblement en pleine rue, tout en continuant de plaisanter:
Quel malheur d’être si gros! Vous voyez, je ne suis plus bon à rien, qu’à rester sur place. Un détachement a la débandade filait, rasant les maisons, se dirigeant vers la sortie du bourg.
Ou allez-vous, mes enfants? demanda le général Grossetti, sans quitter son pliant; j’espère bien que vous ne battez pas en retraite… Vous ne voudriez pas abandonner ici votre général.
Les hommes, muets de stupeur, regardaient le général assis sur son pliant de l’air le plus naturel du monde, tandis qu’autour de lui les obus éclataient, éventrant des maisons. Et soudain, saisis d’une émotion violente, ils soulevèrent leur képi en criant: Vive le général!
Et ils retournèrent au feu.
Cependant, on avertit le général Grossetti qu’un officier de l’état-major du maréchal French le cherchait pour s’informer de ses intentions, car le recul de la division Grossetti entraînerait le recul des forces anglaises. Sur l’ordre du général, on lui amena l’officier anglais… et une chaise.
Voulez-vous me faire, monsieur, le plaisir de vous asseoir auprès de moi? Nous serons ici parfaitement bien pour causer.
L’officier anglais, en dépit de son flegme et de son courage, hésita quelques secondes à prendre au sérieux l’invitation. Une bombe venait précisément de broyer, à deux pas, l’église du village. Mais le général parlait sérieusement et il n’y avait qu’a s’exécuter. L’officier anglais pris place auprès de lui.
Vous pouvez dire, monsieur, au maréchal French…
L’effroyable déflagration toute proche d’une marmite allemande interrompit la phrase. Vous pouvez dire, monsieur, au maréchal French, reprit posément le général en agitant devant lui son képi pour dissiper le nuage de poussière et de fumée qui couvrait les deux interlocuteurs, que je m’appelle Grossetti et que, comme mon nom l’indique, je suis trop gros pour reculer…
Rentré a son quartier général après quelques minutes de « causette », sous les obus, avec le général, l’officier anglais fit cet aveu a ses camarades:
Je me crois brave, je suis même sur de l’être. Pourtant, j’avais froid dans le dos, tant il faisait chaud au « five o’clock » du général français…
On peut s’imaginer l’ascendant qu’un homme de cette trempe avait fini par prendre sur les troupes qu’il commandait.
Le général Grossetti, fils d’officier, était né à Paris; le 10 décembre 1861; il passa par Saint-Cyr, d’où il sortit le troisième de sa promotion, et par l’école supérieure de guerre, fit campagne en Algérie et au Tonkin et servit plusieurs années à l’état-major de l’armée; comme colonel, il commanda un des régiments de la division de Nancy, le 26e d’infanterie. Il avait reçu les deux étoiles quelques mois avant la guerre, en mars 1914. Le général Foch, sous les ordres duquel le général Grossetti avait combattu en Flandre, a dit de lui: « Grossetti est invulnérable; toujours sous la mitraille, au milieu des balles, elles sembles ne pas vouloir le toucher! » Et ce magnifique soldat, sur lequel la France était toujours en droit de compter, s’en va, terrassé par une impitoyable maladie, alors que le feu de l’ennemi, dans tant d’effroyables combats, l’avais jusqu’au bout respecté!
Le vrai Grossetti (Le Gaulois du 03/06/1923 de Charles Le Goffic)
Comme on le verra plus loin, on inaugurait hier, au Père-Lachaise, en présence de M. le maréchal Foch, le monument de Grossetti qui mourut au Val-de-Grace le 7 Janvier 1918. Chargé de prendre la parole par la veuve du général et le comité, M. Le Goffic a prononcé un émouvant discours dont nous extrayons le passage suivant qui a trait a la « légende » de bravoure irréfléchie du vainqueur de Ramscapelle:
En réalité, ses gestes les plus risqués, les plus fous, étaient l’application d’une doctrine de guerre, contestable peut-être, mais profondément méditée. C’est ainsi qu’a tort ou à raison, Grossetti condamnait le séjour prolongé des P.C. pendant la bataille. P.C. « poste de commandement », plutôt P.P. « poste de piétinement », disait-il avec son ironie mordante; c’est là qu’on apprend qu’on est vainqueur… trop tard pour exploiter le succès; et c’est là qu’on apprend qu’on est enfoncé… trop tard pour boucher la brèche… Pour lui, sans dégarnir son P.C. des organes de liaisons nécessaires et n’emmenant avec lui qu’un officier ou deux, il se portait toujours sur le point du front ou il estimait pouvoir agir ou réagir le plus rapidement possible, a savoir: commandant de division, tout près des première lignes; commandant de corps d’armée, tout près de ses réserves et de son artillerie; commandant d’armée, tout près du terrain d’atterrissage de son aviation. Il y risquait gros, sans doute, mais il estimait que le jeu en valait la chandelle, tout le secret de la victoire tenant dans la rapidité de la décision.
Nous voilà loin du Grossetti a la bravoure irréfléchie, aimant le danger pour le danger et dont on ne contestait pas, d’ailleurs, que ce mépris extravagant de la mort était pour ses hommes le stimulant le plus énergique, mais a qui, pour cette témérité même, certain petits esprits eussent volontiers refusé les qualités d’un grand capitaine. On voit ce qu’il en est et que ce prétendu impulsif au fond était le plus calculateur, le plus réfléchi des chefs. Henry Bordeaux, qui l’a vu à l’œuvre au 16e corps, sous Verdun, et qui en a fait un portrait admirablement nuancé, le peint « grave, méditatif, élaborant ses plans avec méthode, minutieux, pondéré, appliqué, adroit a manier les hommes avec bonhomie, avec cette diplomatie qui découle naturellement de la finesse de l’intelligence et de la délicatesse des sentiments ». Et c’est aussi le Grossetti qu’a dégagé M. Gabriel Hanotaux dans sa belle et définitive Bataille de la Marne.
De ce Grossetti intérieur, si l’on peut dire, que connaissaient les seuls initiés, au Grossetti équestre de la première Marne, enveloppé de tonnerre et d’éclairs et descendant les hauteurs de Broyes a la tête de sa fameuse 42e division, la division de fer, ou au Grossetti de la bataille des Flandres, calé sur sa chaise et goguenardant avec ses hommes sur la route criblée d’obus, il n’y a pas une marge si grande; il n’y a surtout entre eux aucune incompatibilité absolue. Bien au contraire: le Grossetti de l’action découlait logiquement du Grossetti de la réflexion et l’un était la conséquence de l’autre. Ses chefs successifs, Foch, Pétain, Sarrail, le savaient bien qui prisaient plus que tout son coup d’œil et sa rectitude de jugement; en fait, cet homme, qu’on nous représente comme un attaqueur de profession, toujours prêt a foncer sur l’ennemi, était du petit groupe des esprit modérés qui, en 1915 et dans les début de 1916 encore, prêchaient la temporisation et réclamaient, avant de donner le coup de collier final, un matériel et des réserves « a la hauteur ». A la Marne même, le soir du 9 septembre, plutôt que de s’engager en terrain inconnu avec des troupes exténuées, et au risque de contrarier les plans de son chef, prompt à subodorer la retraite allemande, c’est son chef, d’ailleurs qui avait raison, il s’arrêtait a Pleurs par prudence et n’entamait la poursuite qu’au petit jour. Mais déjà sa légende commençait a prendre corps. Pervyse allait le cristalliser tout a fait, grâce surtout à l’épisode de la chaise, ou sa corpulence semblait gouter un malicieux plaisir a narguer les obus, alors qu’en réalité il n’avait trouvé que ce moyen héroïque pour réconforter ses troupes et les obliger a décoller.
Les obus et lui se connaissent de trop vieille date, sans doute, pour qu’il imaginât qu’ils pussent lui faire quelque mal: Parisien de naissance, mais doublement Corse par son père, originaire de Grossetto-Prugna, et par sa mère, une Colonna de la province de Vico, il avait perdu l’un et l’autre coup sur coup en 70-71. Sa famille habitait Belleville. Resté seul, a neuf ans, avec deux sœurs plus jeune que lui, il dut traverser sous les obus le Paris de la commune, se faufiler, de barricade en barricade, jusqu’à la rue Oudinot, ou des amis de sa mère le recueillirent.
Ce précoce baptême du feu le trempa pour la vie, et l’hérédité, le sang corse aidant, décida peut-être de sa vocation militaire, qui s’affirma de bonne heure. La grande page militaire de Grossetti ce fut surtout Ramscapelle. M. Le Goffic l’a retracé avec beaucoup de vie et de nouveauté.
Le 13 septembre, après un long crochet par Châlons, Grossetti était arrivé devant Reims avec l’armée Foch. Il commençait d’y organiser son secteur, quand la course à la mer l’emporta dans les Flandres, ou la guerre remontait. Nous ne tenions la que par miracle les héroïques débris de l’armée belge commandés par cet Homme-Devoir, comme l’eut appelé Hugo, qu’était Albert Ier et la poignée de fusiliers marins sous les ordres de l’amiral Ronarc’h: un remblai de chemin de fer et le fossé d’un canal faisait toute notre défense naturelle contre les masses du prince de Wurtemberg. Le 23 octobre, dans la boucle de Tervaete, des infiltrations se produisent; le 29, sur un autre point vital de la ligne, a Ramscapelle, le remblai cède. Grossetti, qui marchait sur Westende, fait immédiatement demi-tour, repasse l’Yser: trop tard! Déjà l’ordre de repli général est donné. Mais un ordre peut être rapporté. Grossetti n’a de cesse qu’il n’ait, par l’intermédiaire du colonel Brocard, non pas fait révoquer celui-ci (il n’en demande pas tant), mais fait reculer de quarante-huit heures son exécution. Et c’est l’un des beaux traits d’Albert Ier d’y avoir consenti. En possession de la promesse royale, qui lui accorde le délai sollicité, Grossetti prend immédiatement ses dispositions.
Par une prodigieuse concentration immédiate de son artillerie dispersée, à laquelle il associe d’autorité tout ce qui reste de l’artillerie allié, il commence par empêcher l’ennemi de déboucher, puis il lance sur Ramscapelle tout ce qu’il a de troupes disponibles. Elles échouent. Il recommence, après une préparation d’artillerie encore plus violente, avec un bataillon du 151e et les renforts de zouaves et de tirailleurs qu’il vient de recevoir. Je vous donne une heure pour reprendre Ramscapelle, dit-il au colonel Claudon. En une demi-heure, c’était fait. Un bondissement de chéchias, une nappe rouge qui gagne de proche en proche, emporte le talus et s’étale au-delà vers Shoore; le barrage était rétabli, et si solidement que jamais plus, jamais plus, pendant près de cinq années de guerre, l’ennemi ne réussit a le crever. L’incroyable énergie de Grossetti lui avait conféré, comme à lui-même, une sorte d’invulnérabilité. « C’est un talus d’un mètre vingt qui a sauvé la France », a pu dire plus tard, sans la moindre hyperbole, le maréchal Foch.
Grossetti (Le Gaulois du 26/08/1921 du Général Cherfils)
Au lendemain des funérailles de ce grand soldat, le conseil municipal de Paris décida qu’une concession gratuite serait accordée au général Grossetti, en raison de sa belle conduite à la Marne, où il avait « emporté d’assaut le château de Mondement, clef de la victoire, suivant l’expression du maréchal Foch ». C’est le motif. L’ironie des choses veut qu’il ne soit pas exact.
Si la lettre de la citation municipale n’est pas juste, son esprit l’était supérieurement. Elle honore le conseil de Paris. Son geste généreux a trouvé une inspiration très heureuse dans la renommée du fameux général, dans sa réputation de stupéfiante bravoure et dans le rôle qu’il a joué a la première Marne. Il a été, dans la main de Foch, l’instrument de choix avec lequel le futur maitre de la guerre a assuré sa victoire au centre de la bataille. La conséquence logique de la générosité du conseil municipal est que, sur cette importante concession du Père-Lachaise, un monument s’élève à la gloire du héros. C’est a quoi a pensé la grande famille corse, religieusement attentive a honorer ses grands hommes. Un comité s’est formé, sous le haut patronage du maréchal Foch, avec, a sa tête, le général Graziani, émule de Grossetti, et, pour secrétaire général, le colonel Peraldi. Mais si le général Grossetti appartient a la petite patrie corse, il honore la grande et il illustre toute l’armée des vainqueurs. Le comité de l’érection d’un monument a la gloire de Grossetti, d’abord uniquement corse, a élargi ses cadres et s’adresse a la France et a son armée. Je me fais un pieux devoir de porter a la connaissance des généreux lecteurs du Gaulois ce projet de reconnaissance nationale, pour la glorification d’un héros. Les souscriptions sont reçues au siège du comité, 6, rue Ménars, chez M. Le colonel Peraldi. J’ai connu le lieutenant Grossetti a l’école de guerre, et je l’y avait particulièrement remarqué. Il portait sur sa tunique de zouave la médaille du Tonkin. Il avait fait la guerre et il apportait a la méditation de ce qu’on lui enseignait la solitude d’observations personnelles. Il était déjà corpulent. C’était une surprise de trouver dans cette statue massive un esprit très fin et une sérénité douce. J’ai retrouvé Grossetti a Nancy. Il y commandait le 26e d’infanterie. Il le quitta en 1913, appelé a Paris dans les coulisses du conseils supérieur de la guerre. Il était, comme Maistre, des grands que Joffre savait grouper pour en faire les chefs d’état-major des armées. En aout 1914, le jeune général est chef d’état-major de la 3e armée. Il y donne tout de suite la mesure d’une haute valeur militaire, servie par un sang-froid inaltérable et une extraordinaire bravoure. Charles Le Goffic a écrit sur Grossetti l’invulnérable un très bel article qui se trouve réuni a son livre: Les trois Maréchaux, édité par Bloud. Grossetti avait sa place marquée dans ce palmarès de gloire ou le barde celte dore de la poésie de son verbe quelques-unes des plus noble figures de la guerre.
Grossetti est particulièrement célèbre par sa magnifique manœuvre de la Marne et par le rôle de sauvetage qu’il a opéré dans les Flandres, pour le salut de l’armée belge. Dans les deux actes essentiels de sa carrière, il ne s’est pas contenté d’être un soldat radieux, il s’y est montré aussi un grand chef.
Le 30 aout 1914, a la 42 D.I. (de Verdun) quitte la Woevre pour entrer dans la mosaïque improvisée qui va être l’armée de Foch. Appelé au commandement de la 42e D.I., le général Grossetti, tout de suite, met sur cette belle troupe une emprise décisive: « Je ne veux parmi vous que les braves. Que les froussards décampent, s’il en est » Personne ne sortit du rang. Personne n’en sortira jamais pour reculer. Cette apostrophe, renouvelée des temps héroïque d’Israel, valut au chef de la 42e D.I. le surnom de Gédéon.
Pendant les 6, 7, 8 septembre, Grossetti épaulera a l’ouest la division Humbert, qui est devant Mondement. Il tient Chaplon. Il s’y sert de son artillerie divisionnaire avec un art remarquable. C’est la que Foch ira le prendre pour le ramener a la droite de son armée et y sauver une situation compromise par le recul du 11e corps. La conception de Foch est géniale. Il n’a plus une réserve. Il en forge une. Il prend a sa gauche la 42e D.I. pour la retirer du combat, la ramener en arrière et la jeter dans le flanc de la garde et des Saxons, qui déjà poussaient vers la Maurienne, avec une allure de triomphe. L’exécution d’une pareille manœuvre était singulièrement délicate. Il fallait, pour y réussir, la souveraine maitrise d’un chef comme Grossetti. La rupture de combat de cette 42e D.I. engagée a fond, n’allait pas sans difficultés, bien que Foch, pour étayer son aile gauche, ait reçu de Franchet d’Esperey le 10e C.A. et même l’appui du 1er C.A. Le capitaine Réquin aujourd’hui colonel; capitaine a l’état-major de Foch est envoyé dans la matinée vers Grossetti pour lui porter l’ordre de la manœuvre qu’il avait a faire. Deux fois dans l’après-midi, Foch renvoie Réquin a Grossetti pour activer sa marche. La dernière fois, Foch lui dit: « Si Grossetti peut déboucher vers Linthes a six heures, ça me suffit. » Grossetti débouche au sud de Linthes a six heures dix, dans un ordre magnifique, en une colonne double de bataillons impressionnante. La surprise de cet événement a été décisive. Il faut retenir la manière dont elle s’est produite. Un avion boche, qui survolait la bataille, a découvert le premier l’approche de cette masse imposante, avec son aspect de réserve fraiche. La nouvelle, transmise en trainée de poudre, a arrêté net les colonnes déjà victorieuses de l’ennemi. Elles ont fait demi-tour et ont refoulé vers le nord. Ça a été signal de la reprise générale de l’offensive de Foch, qui d’un bond s’est porté jusqu’a Fère Champenoise. La surprise est toute dans l’effet moral qu’elle produit. Cet effet, tombé d’un rapport d’avion, a été certainement plus complet, plus total, que s’il avait été produit par les canons de Grossetti tirant dans le flanc des Allemands.
Le Gédéon de la Marne devient dans les Flandres L’Homme a la chaise chanté par Le Goffic. La division Grossetti est la première troupe de renfort que Foch, envoyé dans le Nord le 5 octobre pour y commander, appelle au secours des Belges dans les Flandres. Le 18 octobre, la 42e division s’embarque a Epernay pour Dunkerque. Elle y arrive le 20, a cinq heures du soir. Elle se porte sur Coxyde, en détachant par Furnes un bataillon de chasseurs pour saluer d’une Sidi-Brahim pleine d’espérance le noble roi Albert. Il faut relever les Belges a Lombaertzyde et attaquer aussitôt. Grossetti se portait contre Westende au moment ou il apprend que, dans son flanc, la ligne belge vient d’être crevée a Pervyse. Chez Grossetti, la décision du grand chef est aussi rapide et sure qu’est impassible la bravoure du soldat. Il laisse une brigade a lombaertzyde; avec le reste, il se porte sur Pervyse. Les shrapnells battent la chaussée comme la grêle en aout. « Ouvrez vos parapluies », dit Grossetti a ses hommes. Lui-même établit son poste de commandement sur la place de Pervyse, criblée d’obus. On y apporte deux chaises, l’une pour son imposante stature, l’autre pour le commandant de Lamirault, a qui il dicte ses décisions, ou pour le Britannique de liaison, qui vient prendre contact avec lui. Grossetti ne mettait aucune ostentation a étaler sa bravoure, mais il jugeait bon de s’en servir pour ajouter a son prestige et faire rayonner sur sa troupe son étonnante sérénité. Aussi pouvait-il mener partout les hommes, qu’il dominait d’un tel exemple et dont son cœur avait conquis l’admiration.
Pendant l’attaque de la Tour-Blanche, a 1500 mètres de Dixmude, il s’était attablé, avec l’amiral Ronarc’h, devant une guinguette au bord de l’Yser. L’endroit était aussi peu confortable que la place de Pervyse. Le colonel anglais Seeley, invité a ce lunch, disait ensuite assez drôlement: « Je connais le général Grossetti et l’amiral Ronarc’h. Ils sont si extraordinairement braves qu’il vaut mieux les éviter. »
Grossetti est nommé au commandement du 16e C.A. Puis, en 1917, il va prendre, après Cordonnier, le commandement de l’armée d’Orient. C’est a Florina qu’il subit les premières atteintes du mal implacable qui, en quelques mois, le terrassa. Vainement, a l’opération sur Monastir, il chercha la mort glorieuse qu’il méritait et que le destin lui a refusée. Sa générosité égalait sa bravoure. Pendant toute la guerre, son appartement du 29 de la rue des Volontaires a été un dépôt de secours pour les militaires des pays envahis. Mme Grossetti en a été l’infirmière et la marraine avec une inlassable bonté. 1400 combattants ont été recueillis dans son appartement.
Si Grossetti était resté sur le front d’Occident au lieu d’être opprimé par le satrape de Salonique, il aurait peut-être échappé a son mal. Il aurait été un de nos plus grands chefs d’almée dans la bataille de Foch. Sa manœuvre de Linthes et son héroïque activité des Flandres le classent au sommet de la hiérarchie des grands hommes de guerre. Il est bon qu’il vive dans le marbre ou dans le bronze, pour l’édification de la jeunesse qui monte. Les belges, dont il a été le sauveur, et les Anglais, qu’il a entrainés dans les Flandres par son exemple, ne manqueront pas de participer a la commémoration de sa gloire.
Ordre général Nº62 (13 Janvier 1918 par Le général Guillaumat)
Le Général Grossetti vient de succomber a la longue et cruelle maladie qui l’avait forcé a abandonner, il y a trois mois, le commandement de l’Armée française d’Orient. Le Général Grossetti pouvait déjà s’enorgueillir d’une brillante réputation militaire, lorsque son nom est entré glorieusement dans l’Histoire au cours de la lutte héroïque soutenue sur l’Yser a la fin de 1914 par les Armée française, anglaise et belge. La bravoure qu’il y déploya a la tête de la 42e Division d’infanterie, en a fait une figure légendaire parmi tous ceux qui ont combattu a cote de lui.
Apres avoir brillamment commandé le 16e Corps d’Armée en Champagne et a Verdun, il était devenu, au début de 1917, le Commandant de l’Armée française d’Orient, et c’est grâce a son impulsion vigoureusement, que celle-ci remporta son succès de février dans la région de Koritza, de mars au nord de Monastir, de septembre a Progradek. Les Armées Alliées d’Orient, française, anglaise, italienne, serbe et hellénique, conserveront, comme celle du front français, le souvenir de ce chef brave, droit et loyal entre tous.
C’est en leur nom que je salue sa glorieuse mémoire.
Le général Grossetti (L’illustration du 12/01/1918 de Raymond Recouly)
Dans les premiers jours de novembre 1914, au plus fort de la bataille l’Yser, une nécessité de service m’amena a Dixmude qui devait, la semaine suivante, être pris par les Allemands.
La 42e division, une des plus fameuses de l’armée, commandée par Grossetti, attaquait, pour donner un peu d’air a notre tête de pont, le château de Dixmude, situé à 1500 mètres au Sud de la ville. Sur la chaussée bordant l’Yser, dans une boue gluante, immonde, les fusiliers marins avait établi leurs tranchées, leurs demeures qui étaient bien souvent leur cercueil, mangeant, dormant, se battant et mourant, les pieds dans l’eau. Par une journée de violente bataille, dans un grand fracas de canonnade, je tombai sur un extraordinaire groupe. A 300 mètres a peine des Boches, au bord du fleuve tragique, trois chefs dirigeant tranquillement le combat: l’amiral Ronarc’h, boutonné dans un mince pardessus noir, le colonel Boichut, le virtuose des 75, commandant l’artillerie de la 42e division, et le général Grossetti.
Les batteries de Boichut, placées un peu en arrière, faisaient un tintamarre d’enfer. Il s’agissait de battre, aussi dur, aussi fort que possible, le château que les chasseurs, franchissant la rivière sur une branlante passerelle, se préparaient a attaquer. Et Grossetti, pareil a un chef de chœur, menait le branle, donnait le rythme et corrigeait le tir. Accoudé au rebord boueux de la tranchée, observant de sa jumelle l’éclatement de nos obus, il criait a son inséparable Boichut des phares sèches comme l’explosion d’un shrapnel: « Vous y êtes, vous êtes en plein dedans! Gardez-moi cette hausse et qu’on accélère le tir! »
C’est la qu’il fallait voir Grossetti. De haute taille et de très forte corpulence, le rond visage rougeoyant, encadré d’une barbe broussailleuse, blanchissante, le Gros Homme, ainsi qu’on l’appelait, faisait l’effet d’un dieu de la bataille. Il donnait une impression de solidité massive, mais aussi de précision et de décision.
Appelé le 28 aout 1914 au commandement de la 42e division, il fut l’incomparable exécutant de cette magnifique manœuvre, conçue par Foch, et qui fut, le 9 septembre, le dernier jour de la bataille de la Marne, une des raison décisives de notre victoire. Six semaines plus tard, sa division est subitement enlevée de Champagne et transportée en toute hâte dans les Flandres. C’est un des moments les plus critiques de la ruée allemande sur l’Yser. Les Allemands refoulent les Belges, passent le fleuve et prennent Ramscapelle. S’ils avancent encore, Furnes et la voie de Dunkerque sont menacés. Mais la division Grossetti est la. Elle reprend Ramscapelle; elle leur barre inexorablement la route.
Chargé d’accompagner mon chef, le général Humbert, je vis Grossetti le matin du jour ou le village avait été reconquis. Toujours au plus fort de la canonnade, il disait tranquillement a Humbert: « Mon général, nous faisons le cueillette des Boches. Nous en avons déjà ramassé cinq ou six cents. Mais il en reste encore dans les trous! »
Quelque temps après, il prit le commandement d’un corps d’armée qu’il mena vaillamment dans diverses offensives. Puis il fut envoyé a Salonique pour y commander l’armée française de Macédoine.
C’était une belle figure de soldat. On a tout dit sur sa légendaire bravoure, sur son mépris complet, absolu de la mort. Tout ce qu’un général pouvais faire pour être tué sur le champ de bataille, il l’a fait. Mais les obus et les balles n’ont point voulu de lui et il vient de mourir, prosaïquement, a Paris, dans un lit!
Inauguration du monument élevé au cimetière du Père Lachaise a la mémoire du Général Grossetti (Bulletin municipal officiel du 09/06/1923 de Louis Puech et de Hippolyte Juillard)
Monsieur le Marechal,
Messieurs,
J’apporte a la noble et glorieuse mémoire du Général Grossetti l’hommage ému de la Ville de Paris, qui, depuis les jours a jamais illustres de la Marne, l’a inscrit au premier rang parmi ses défenseurs et ses sauveurs.
Il ne m’appartient pas d’évoquer dans son entier la belle vie et la brillante carrière du général Grossetti. Je veux rappeler seulement en quelques mots très brefs que, fils d’une ancienne famille corse ou le métier militaire était une tradition et une vocation, les hasards de la vie de garnison le firent naitre a Paris ou il passa ses premières années, de sorte que notre cité a quelque titre a le revendiquer comme un de ses enfants; qu’après d’excellentes études a la Flèche et à Saint-Cyr, au lieu de rechercher la tranquillité d’une paisible affectation métropolitaine, il demanda aussitôt les zouaves et fit, en qualité de lieutenant, la campagne du Sud-Oranais, puis celle du Tonkin; qu’élève a l’école de guerre, il manifesta avec éclat les qualités d’intuition, d’intelligence et de labeur, de coup d’oeil, de décision et d’énergie qui font les grands chefs; et qu’enfin jusqu’a la veille du conflit mondial, il servit toujours a l’avant-garde, a la frontière de l’Est, et que le dernier commandement qu’il exerça comme colonel fut, a Nancy, sur un régiment de la division de fer. La guerre le trouve général de brigade depuis quelques mois et il est aussitôt désigné comme Chef d’état-major d’une armée qui est d’ailleurs dissoute après Charleroi. Il est alors mis a la tête de la fameuse 42e division, l’invincible, qui, le 30 aout 1914, quitte la Woevre pour entrer dans l’armée improvisée du maréchal Foch. Les 6, 7 et 8 septembre, Grossetti épaule a l’ouest la division Humbert qui est devant Mondement. Il tient Chapton et s’y sert de son artillerie divisionnaire avec un art remarquable. C’est la que le général Foch ira le prendre pour le ramener a la droite de son armée et y sauver une situation qui semble irrémédiablement compromise.
Le 7, le 11e corps a reculé jusqu’au sud des Marais de Saint-Gond; le 8, nous perdons Fère-Champenoise; une trouée se creuse dans notre front de bataille, qu’il faut aveugler a tout prix. Mais toutes les troupes disponible sont engagé, et les experts dans l’art militaire savent, qu’a moins d’un miracle, une troupe engagé a fond ne peut être « décrochée » pour être employée ailleurs.
Ce miracle, un seul homme en parait capable, c’est le général Grossetti. Le général Foch n’hésite pas a le lui demander, et lui, il n’hésite pas a le tenter. Son chef lui a prescrit de faire l’impossible pour déboucher vers Linthes a 6h10 , dans un ordre magnifique, en une colonne double de bataillons marchant comme à la parade, ayant résolu, devait dire plus tard le maréchal Foch, « un problème extraordinaire », ayant réalisé ce qui paraissait humainement irréalisable. La route de Paris était barrée. La bataille de la Marne prenait, dès ce moment, figure d’éclatante victoire.
Quelques mois après, ce fut la route de Calais qui parut ouverte aux barbares, après la prise de Ramscapelle. Et cette fois encore ce fut au général Grossetti que revint l’honneur de rétablir la bataille et d’endiguer la ruée de l’envahisseur. Il avait reçu, au début de la matinée, l’ordre de reprendre Ramscapelle. A la chute du jour, après un terrible combat, il ne restait plus un ennemi vivant sur la rive gauche de l’yser.
Ainsi, a deux moments décisifs de cette première année de guerre, c’est l’action du général Grossetti qui enraye la percée allemande et qui fixe la victoire incertaine sous nos drapeaux. Nul ne s’en étonnera parmi ceux qui ont eu le privilège de le connaitre et de la voir a l’oeuvre. Il unissait a une science consommée une bravoure incomparable. L’histoire qui se plait a garder l’image des héros aux minutes les plus expressives de leur existence, retiendra l’admirable scène de la bataille de l’Yser ou, ayant installé son poste de commandement sur la place de Pervyse criblée d’obus, confortablement assis, le cigare aux lèvres, on le vit diriger le combat sous un déluge de fer et de feu, avec autant de calme et de sang-froid que s’il eut été au milieu de la plus paisible retraite. Il était de ces vrais hommes de guerre dont il semble que la mort ne veuille pas sur les champs de bataille.
Plus tard, a l’armée d’Orient, atteint du mal implacable qui devait l’emporter en quelques mois, il chercha vainement, lors de la marche sur Monastir, un trépas glorieux. Il devait succomber a Paris, au début de 1918, après de longues souffrances héroïquement supportées, et sans avoir vu de ses yeux ce triomphe des armées alliées qu’il avait, plus qu’aucun autre, contribué a rendre possible et auquel il avait toujours cru d’une foi inébranlable.
Paris a conservé une vénération particulière pour la mémoire de ces deux grands soldats, Galliéni et Grossetti, mort tous deux avant la victoire finale.
En accordant à la dépouille mortelle du général Grossetti une concession perpétuelle au cimetière du Père-Lachaise, en apportant son obole a la souscription pour le monument élevé à sa mémoire, le Conseil municipal n’a fait qu’acquitter bien faiblement une dette immense, et traduire des sentiments d’admiration, de respect, de fidèle gratitude, dont je vous remercie, Messieurs, de m’avoir fourni l’occasion de me faire, une fois de plus, au nom de tous mes collègues, le très ému et très sincère interprète.
Messieurs,
Le sort n’a pas voulu que le général Grossetti, en qui semblait réunies la force d’âme et les espérances invincibles du pays pendant la guerre, fut témoin de la Victoire. Ce grand cœur a cessé de battre au moment où allaient s’ouvrir les épreuves décisives, et il n’aura point connu la récompense finale tant de fois sans doute rêvée par lui. C’est ce qui donne à notre réunion autour de son image un caractère de particulière émotion. Il y a plus qu’une vie brisée dans cette mort de Grossetti, a 55 ans, en pleine possession de ses belle facultés: il y a comme une destinée incomplète, inachevée: un tel homme était fait pour connaitre l’ivresse du triomphe, après les journées sombres et dures. Ce que nous regrettons amèrement, c’est que cette joie éclatante, cette fierté légitime lui aient été refusées.
Du moins la mémoire de ce vaillant soldat brillera-t-elle, grâce a l’admiration et a la reconnaissance de ceux qui l’ont connu, parmi celles des meilleurs artisans de la Victoire. Lorsque le 11 janvier 1918 son funèbre cortège, plein d’une émotion sobre et d’une grandeur toute militaire passait a travers les rues de Paris, l’inviolable consigne de l’anonymat des chefs ne permettait pas encore d’attacher les hauts faits a des figures connues et d’assigner a chacun sa part de gloire. Sa bravoure pourtant était déjà légendaire. En voyant passer cette prolonge recouverte du drap tricolore, suivie du fanion déchiré, les Parisiens, qui, bientôt, devaient être, eux aussi, a l’honneur, sentaient le frisson de la bataille. On se disait: celui qui passe fut un des vainqueurs de la Marne. Et malgré le rigoureux silence imposé par la discipline, l’admiration des chefs et la chaude affection des soldats avaient rapporté sur Grossetti tant de récits épiques et de mots légendaires, que les cœurs avides de confiance et de fierté se sentaient affermis même devant ce cercueil.
Solennel et magnifique hommage pour un soldat tel que lui, que ce sentiment de mâle réconfort inspiré par le seul souvenir de sa vie! Ces ordres et ces réponses héroïques donnés dans le tumulte de la bataille a Chaptan, a Lombaertzyde, a Ramscapelle, s’envolaient dans le tourbillon et le fracas, mais déjà ils formaient dans la mémoire de ceux qui les entendaient les assises du monument que nous inaugurons aujourd’hui. Maintenant que l’heure de l’histoire a sonné, les actes du Chef d’état-major de la 3e armée, du commandant de la 42e division, du général de l’armée d’Orient, mis en lumière jusque dans le détail, ont confirmé toutes les admirations, accru tous les regrets. Ils l’entoureront toujours, dans ce champ de souvenir, dans ce Paris reconnaissant, qu’il a grandement, pour sa part, contribué à sauver, en même temps que la France.
Le Général Grossetti (Le Pêle-Mêle du 03/03/1918)
Le général Grossetti, qui a succombé récemment des suites d’une blessure reçue en Macédoine, et a qui la capitale a fait de magnifiques funérailles, était un « Parisien », bien qu’il fut d’origine corse. C’est à la bataille de l’Yser qu’il se montra vraiment « lui-même ». Au plus fort de la lutte, sous le feu terrible de l’ennemi, nos troupes ne semblaient plus pouvoir tenir, et dans les rangs, on parlait déjà de retraite.
Comment, s’écria le général Grossetti, vous voulez reculer? Mais que ferez-vous de moi? Je suis trop gros pour vous suivre! (Le général était d’un embonpoint remarquable). Je me sens d’ailleurs fourbu; j’ai absolument besoin de m’asseoir. Faites-moi donc donner un siège.
On lui apporta un pliant, un pliant solide, et tandis que les obus allemands continuaient de pleuvoir dru, le général s’assit paisiblement en pleine rue, tout en continuant de plaisanter: Quel malheur d’être si gros! Vous voyez, je ne suis plus bon à rien, qu’a rester sur place. Un détachement a la débandade filait, rasant les maisons, se dirigeant vers la sortie du bourg.
Ou allez-vous, mes enfants? Demanda Grossetti, sans quitter son pliant: j’espère bien que vous ne battez pas en retraite. Vous ne voudriez pas abandonner ici votre général? Les hommes, muets de stupeur, regardaient le général assis sur son pliant, l’air le plus naturel du monde, tandis qu’autour de lui, les obus éclataient, éventrant les maisons. Et, soudain, saisis d’une émotion violente, ils soulevèrent leur képi en criant: Vive le général! Et ils retournèrent au feu.
Cependant, on avertit le général Grossetti qu’un officier de l’état-major du maréchal French le cherchait pour s’informer de ses intentions, car le recul de la division Grossetti entrainerait le recul des forces anglaises. Sur l’ordre du général on lui amena l’officier anglais, et une chaise.
Voulez-vous me faire, monsieur, le plaisir de vous asseoir auprès de moi? Nous serons ici parfaitement bien pour causer. L’officier anglais, en dépit de son flegme, hésita quelques secondes a prendre au sérieux l’invitation. Une bombe venais précisément de broyer, a deux pas, l’église du village. Mais le général parlait sérieusement et il n’y avait qu’a s’exécuter. L’officier anglais prit place auprès de lui.
Vous pourrez dire, monsieur, au maréchal French…
L’effroyable déflagration toute proche d’une marmite allemande interrompit la phrase. Vous pourrez dire, monsieur, au maréchal French, reprit posément le général, en agitant devant lui son képi pour dissiper le nuage de poussière qui couvrait les deux interlocuteurs, que je m’appelle Grossetti, et que, comme mon nom l’indique, je suis trop gros pour reculer.
Rentré a son quartier général après quelques minutes de « causette » sous les obus avec le général, l’officier anglais fit cet aveu a ses camarades:
Je me crois brave, je suis même sur de l’être. Pourtant, j’avais froid dans le dos, tant il faisait chaud au « five o’clock » du général français.
Grossetti connaissait les poilus et savait leur parler.
Un jour, après une attaque, un « coureur » se présentait a lui. C’était un instituteur des Pyrénées. La plaque de son ceinturon venait d’être trouée par une balle. Il le regarda dans les yeux et, simplement:
Tu me fera l’amitié de trinquer avec moi, n’est-ce pas?
Et le grand chef fit asseoir le soldat a sa modeste table et but avec lui. Quelques minutes après, un autre « bonhomme » se présentait. L’héroïsme brulait dans ses yeux. C’était un ancien garçon de café.
Merci, mon vieux, lui dit Grossetti, tiens, voilà cent sous.
Il avait compris, rien qu’en les voyant, ce qui plairait le plus à l’un et à l’autre. Tout vrai chef doit être un psychologue, n’est-il pas vrai?
Hommage suprême a un Héros de la Marne & d’Ypres (La Presse du 11/01/1918 par le Général Dubail)
Mesdames, Messieurs, au nom du gouvernement de la république, que j’ai l’honneur de représenter ici, au nom de l’armée, en mon nom personnel, je viens adresser au chef éminent, au camarade héroïque qui n’est plus, le salut de reconnaissance de la France qu’il a si noblement servie et qui perd en lui un de ses plus glorieux enfants. Fils d’officier, Grossetti avait été dès le berceau, élevé dans le culte de la Patrie et de l’armée auxquelles il consacra toute sa vie et pour lesquelles il est mort. Brillant Saint Cyrien, il passe par l’école de Guerre, fait ses premières armes en Algérie et au Tonkin et reviens en France pour être affecté a l’état-major; nommé colonel, il commande une des unités de la division de fer, a Nancy, le 26e régiment d’infanterie, et quelques semaines avant la guerre, il reçoit les étoiles.
La lutte formidable déchaînée par l’Allemagne, allait lui permettre de donner sa mesure, son énergie, la sureté et l’audace de son commandement, son courage personnel, l’égalèrent de suite aux chefs les plus réputés. Chef d’état-major de la IIIe armée au début de la campagne, il est bientôt placé à la tête de la 42e division qu’il anime de sa flamme et qu’il ne quittera que pour commander le 16e corps: il participe a toutes les grandes batailles de cette guerre et s’y couvre d’une gloire impérissable.
Son nom, symbole de vaillance et d’intrépidité presque téméraire, vole de bouche en bouche, galvanisant les coeurs. A Verdun d’abord, puis sur la Marne, ou sa manoeuvre hardie contribue puissamment a la victoire, sur l’Yser ou, stoïque, il brise l’offensive ennemie et, par son flegme insoucieux, provoque l’admiration de nos allies, a nouveau devant Verdun, au moment de la tragique poussée allemande, partout il s’expose aux coups, exalte les troupes par son hautain mépris de la mort, et, sur tous exerce un ascendant prestigieux, fait de confiance sereine, d’habileté tactique, de précision dans le commandement et, surtout d’un absolu dédain du danger.
La mort elle-même recule sur le champ de bataille devant sa bravoure. Elle n’aura raison de lui qu’en s’insinuant par les voies perfides de la maladie qu’il contracte a Salonique, ou, commandant l’armée française d’Orient. Il déploie, comme il l’a fait en France, les mêmes incomparables qualités militaires.
Ainsi, celui que les projectiles semblaient ne pas oser toucher, le soldat magnifique qui aurait pu rendre encore tant et de si précieux services au pays, le général Grossetti meurt pour la France, terrassé par un mal implacable, avant d’avoir pu, hélas! Connaitre l’ivresse de la victoire!
Mais, cette victoire, il l’aura préparée de toutes ses forces, de toute sa vaillance, de toute son âme de héros. Et, quand elle viendra couronner nos drapeaux, aux éclats des fanfares se mêlera, dans nos souvenirs reconnaissants, le nom glorieux de Grossetti. Messieurs, devant cette tombe, pour nous tous trop tôt ouverte, je m’incline pieusement. Au nom du Gouvernement de la République, au nom de l’armée, en mon nom personnel, j’adresse au grand chef disparu un dernier adieu; je prie sa veuve douloureuse, sa famille si cruellement frappée, tous ceux qu’il aimait et dont il était aimé, de vouloir bien agréer la respectueuse expression de notre vive et profonde sympathie. Adieu, mon cher Grossetti! Dormez en paix! Vous avez bien mérité de la patrie!
Grossetti et l’aviatrice (La baïonnette du 21/02/1918 par Les ont dit.)
Un jour, le général Grossetti reçu la visite d’une jeune femme décorée de la légion d’honneur comme aviatrice et qui, depuis la guerre, faisait du grand reportage. Elle arriva à son poste de commandement pour lui demander une interview.
– Peut être vous l’accorderai-je tout a l’heure. Mais en attendant, puisque j’ai une femme sous la main, je vais en profiter…
La jeune « reportwomen » devint rouge.
– Oh… chère madame, ne rougissez pas, je n’ai pas pensé à mal… Mais voilà ; j’ai plusieurs boutons de ma tunique qui viennent de partir et je vous prierai de me les recoudre.
De bonne grâce la jeune femme s’exécuta… et dix minutes après, le général lui donnait son interview.
L’Epopée du Général Grossetti (Le Petit Marseillais du 25/08/1921 par Paul Fontana)
La contribution que la Corse a fournie à la Grande Guerre n’a pas été déterminée jusqu’ici; nous n’avons pas encore établi le dénombrement de nos glorieuses victimes. Mais nous savons déjà, par tous les deuils de nos villages et de nos villes, que les sacrifices furent terribles; nous savons que l’héroïsme de nos morts innombrables se dresse comme un monument funèbre dont la masse formidable atteste notre créance sur la nation, comme un immense ossuaire dont la tragique vision devrait troubler sans trêve la quiétude des représentants a tous les degrés d’un peuple encore saignant par tant de cruelles blessures et leur inspirer, avec la piété filiale, l’amour et la douleur, le courage d’affirmer, avec âpreté, puisqu’il le faut ainsi, nos droits imprescriptibles et nos revendications.
Car il est juste, il est moral au plus haut degré que le sacrifice de nos frères soit récompensé en leurs frères; leur gloire est la nôtre; leurs mérites nous créent des droits. Dressons donc un culte a nos héros, dans l’intérêt de la Corse elle-même; ne laissons pas oublier les services qu’ils ont rendus, pour que figure en bonne place, sur le grand livre de la reconnaissance nationale, la créance sacrée de notre petite patrie.
L’Héroïsme de Grossetti
Cette exclusive préoccupation de l’intérêt de la Corse a inspiré les organisateurs d’un comité pour l’érection d’un monument au général Grossetti, au Corse qui, brusquement surgi dans la pleine lumière de la gloire, incarna brillamment par son intrépidité, son énergie, sa claire intelligence, les plus belles qualités de notre race.
C’est par sa calme bravoure, son extraordinaire sang-froid dans le désarroi des premières batailles qu’il s’illustrera d’abord. Tout de suite, autour de sa personne, se constitua une superstitieuse légende. Son nom devint un symbole; sa seule présence donnait la confiance et l’ardeur. De nombreuses anecdotes volant de bouches en bouches le montraient intrépide et invulnérable au milieu des pires dangers, toujours impassible, toujours lucide, toujours maitre de sa volonté et de sa pensée, avec, par surcroit, cette liberté d’esprit qui est comme la fleur et l’élégance de l’héroïsme et qui sait trouver le mot jovial ou plaisant pour détendre l’angoisse et ranimer les courages.
La plus typique, peut-être, de ces anecdotes, a été popularisée par l’image. Dans son livre sur la « Retraite d’Anvers et la bataille de l’Yser », M. Baulu la situe devant la petite gare de Pervyse, au passage a niveau de la route qui va à Schoote. De là, Grossetti découvre tout le champ de bataille. Mais la maisonnette en briques rouges et la voie ferrée sont le point de mire de l’artillerie ennemie, qui les bombarde sans arrêt, avec fureur. Dans cette enfer, Grossetti se tient seul. Paisiblement assis, le cigare aux lèvres, il surveille les péripéties de la farouche bataille.
Un officier des renseignements, le major Baird, vient à lui, inquiet de savoir s’il n’y a pas lieu de se préparer à un repli. Sans arrêt éclate et gronde le formidable tonnerre des obus, et l’acre fumée rend l’air irrespirable. Mais Grossetti, très à l’aise, invite courtoisement le major a s’asseoir. Toujours impassible, il lui notifie ses décisions: « Ai-je l’air, dit-il, d’un homme disposé à s’en aller? Quand je suis quelque part, j’y reste. » Et, faisant allusion à sa massive corpulence, il ajoute en riant avec bonhomie: « Dans Grossetti, il y a « grossi »; les déplacements me sont pénibles. »
Le major n’oublia jamais ce prodigieux spectacle du général corse installé, comme en une paisible retraite, dans l’ouragan de fer et de feu. Et lorsqu’il racontait son impressionnante aventure, il concluait avec humour: « Ce Grossetti est un très correct gentleman, mais de fréquentation dangereuse. »
Un autre témoin, le lieutenant Libermann, « le soleil, prêt à disparaitre rougeoie l’occident d’un immense embrassement, éclaire de ses derniers feux le général Grossetti, à cheval au milieu de son état-major. Tout plie devant lui. Immobile, statue équestre, il incarne, dans le triomphe, l’image même de la victoire. »
« Voici venir le dieu Mars » s’écrie un autre écrivain.
Tous voient en lui la suprême personnification de la vaillance. Dans cette guerre de tranchées, ou le courage fut le plus souvent condamné à n’être qu’une résignation obstinée, Grossetti fait revivre les éclatants héros des batailles de jadis. Du Guesclin, Bayard, Sampiero Corso, ou les exploits d’un chef valeureux électrisaient les combattants et les entrainaient a la victoire dans le sillage de son panache.
Les victoires de Grossetti
Mais Grossetti ne fut pas seulement un vaillant soldat; il fut un grand homme de guerre. La mobilisation le trouve général de brigade nouvellement promu; quelques jours après, il est général de division; dès les premiers jours de novembre 1914, il commande un corps d’armée, puis une armée. Cette rapide fortune, il la dut a d’éclatant succès. Deux fois reposa sur lui tout le sort de la bataille et deux fois le revers fut, par lui, changé en victoire. Son rôle a la Marne a été précisé par le maréchal Foch lui-même, dans le récit qu’il fit, près de Mondement, le 7 septembre 1917, lors de la solennelle commémoration de la bataille, en présence du président de la République et des membres du gouvernement, accompagnés de Joffre, Pétain, Gouraud, Fayolle, Weygand, tous témoins et acteurs de la grande épopée.
Et voici comment, à grands traits, Foch évoque les angoissantes journées de Fère Champenoise, ou il opérait a la tête de la IXe armée:
« Le 7 septembre, recul du XIe corps jusqu’au Sud de l’obstacle principal, constitué par les marais de saint-Gond; le 8, nous perdons Fère-Champenoise. La situation parait irrémédiablement compromise. Foch n’a plus de réserves. C’est alors qu’il fit appel à la 42e division de Grossetti.
Engagée depuis plusieurs jours déjà dans une très rude bataille, cette division s’accrochait encore, le 6 octobre, désespérément à Chapton, Montgivroux et Montalard; le combat était d’une extraordinaire violence, sous les effroyables rafales de l’artillerie ennemie: « Les arbres craquaient comme sous un cyclone, écrit un témoin. A chaque instant un cratère s’ouvrait devant nous. Grossetti se tenait à l’orée d’un bois; la fumée des explosions l’enveloppait; a tous moment on le croyait pendu; mais il reparaissait, massif, invulnérable, inébranlable. Vers le milieu de la journée, la formidable attaque de l’ennemi était enrayée. « C’est à cet homme, c’est aux troupes qui viennent à peine d’achever ce gigantesque effort que Foch demande un nouvel effort encore plus héroïque: il faut qu’après s’être dégagée, la 42e division exécute, sous le feu, un déplacement d’une vingtaine de kilomètres et que, enfin, sans trouver un instant de repos, elle apporte, sur un nouveau champ de bataille, assez de vigueur, d’esprit offensif, d’héroïsme surhumain, pour briser l’élan forcené d’un ennemi enivré par la certitude de la victoire. Manoeuvre singulièrement audacieuse et presque désespérée…Mais le trait de génie de Foch est d’avoir deviné quand même qu’elle était possible, et la gloire de Grossetti d’avoir été capable de réaliser ce qui paraissait humainement irréalisable… »
A 8 heures 30, ayant réussi à se décrocher, Grossetti commence sa marche de flanc. Pendant qu’il la poursuit à travers mille difficultés, la situation s’aggrave d’heure en heure; d’après le témoignage de Foch lui-même, le IXe corps n’est plus « qu’a l’état de débris »; ses troupes errent à travers la campagne, en débâcle. Quant au XIe corps, non encore remis de la secousse de Charleroi, décimé, sans officiers, sans cadres, il est désorganisé. Seule, la 42e division encore solide et bien en main malgré les dures épreuves qu’elle vient de traverser, peut constituer l’élément résistant, le cœur de la contre-offensive « faite de pièces et de morceaux ». (Foch)
Mais arrivera-t-elle a temps? Déjà, la journée sur laquelle a pesé l’anxiété d’une attente angoissante est presque finie. La nuit vient. La bataille semble perdue. Mais soudain l’espoir renait, grandit, éclate comme une fanfare. Chevauchant a la tête de ses troupes, calme, intrépide, invincible, voici Grossetti. Il se ramasse, il bondit, il lance ses soldats animés d’une inépuisable vigueur, entraine avec lui les glorieux débris des IXe et XIe corps, et ramène sous nos drapeaux la victoire: « En se résumant, dit M. G. Babin, le général Foch donne son opinion sur cet épisode ultime de la victoire libératrice: c’est que le général Grossetti, dans sa manœuvre sur le champ de bataille, résolut « un problème extraordinaire », accomplit « un tour de force ».
Pourrions-nous désirer un plus éclatant hommage que cet éloge venant du grand vainqueur de la guerre.
Puis ce fut une autre bataille gigantesque: l’Yser et la ruée des Barbares vers Calais. Le 30 octobre 1914, l’ennemi arrachant Ramscapelle aux Belges, avait crevé le front. Déjà, par la brèche ouverte, il précipite son torrent en poussant des hourras de victoire. Sur sa gauche, nos troupes prises d’enfilade seront bientôt complètement tournée.
Le général Humbert s’inquiète, a juste titre: « Si le village reste une nuit de plus aux mains de l’ennemi, écrit L. Madelin, la bataille de l’Yser peut tourner en une irréparable défaite. » A tout prix, il faut reprendre Ramscapelle. Tache effroyable. Mais grossetti est là, et c’est encore vers lui que se tourne l’espoir. La confiance qu’il inspire est telle que, au moment le plus critique, d’Urbal, commandant de l’armée, n’hésite pas à rassurer le général Humbert: « Grossetti, lui écrit-il, rétablira certainement la situation… Ne vous laissez pas influencer par ce qui se passe de son côté. »
Cette confiance ne fut pas trompée. Ayant reçu l’ordre de reprendre Ramscapelle, Grossetti, avec une étonnante rapidité, improvise son plan; des 14 heures, ses admirables soldats, lignards, tirailleurs, zouaves, chasseurs à pied, se précipitent a l’attaque aux cris de: « Vive la France! » A la chute du jour, après un terrible combat et de furieux corps à corps, il ne restait plus un Allemand vivant sur la rive gauche de l’Yser. En définitive, c’est l’action de Grossetti au point culminant des deux grandes batailles de la Marne et de l’Yser, qui rétablit la situation et donna la victoire à nos armées.
Douloureux épilogue d’une glorieuse destinée Notre Devoir
C’est pour nous une grande fierté que d’entendre, mêlé aux noms des grands vainqueurs, ce nom, le nom d’un Corse, dont les sonorités éveillent les accents de chez nous. Mais en attendant la justice tardive de l’Histoire, sait-on quel fut l’épilogue de cette glorieuse carrière? Quand Grossetti mourut, on lui fit des obsèques nationales, et la ville de Paris, en reconnaissance du rôle qu’il avait joué a la bataille de la Marne accorda, pour sa dépouille mortelle, une concession perpétuelle au cimetière du Père-Lachaise. Mais de ces justes hommages il ne reste qu’un souvenir amer; car, mort depuis trois ans, Grossetti n’a pas encore retrouvé la paix du tombeau: le cercueil ou sont enfermées ses cendres glorieuses, est toujours relégué dans un caveau provisoire, en location. Cette situation qui ne devait être qu’essentiellement provisoire, soulève, on le devine, de graves difficultés…
Ah! pourquoi faut-il qu’au souvenir d’un de nos plus brillants héros vienne se mêler un débat dont la pénible vulgarité trouble odieusement la sérénité de son dernier sommeil! Mais Grossetti est notre. C’est à nous d’honorer sa mémoire comme en une veillée mortuaire qui ne s’achèvera que le jour où nous l’aurons dignement enseveli. Dans cette pieuse pensée, le Comité constitué à Paris, qui a son siège 6, rue Ménars (2e arrondissement), demande aux Corses leurs souscriptions pour ériger, dans le cimetière du Père-Lachaise, sur l’emplacement concédé à perpétuité par le Conseil municipal, un tombeau qui fera vivre dans la mémoire des Parisiens le nom d’un Corse resplendissant de gloire.
Le maréchal Foch, pour rendre un éclatant hommage à celui qui fut son compagnon de victoire à la Marne et sur l’Yser, a accepté la présidence d’honneur de ce Comité, auquel S. M. Le Roi des Belges a bien voulu accorder son haut patronage, dans un sentiment de reconnaissance envers le vainqueur de Ramscapelle. Les ministres de la guerre, de la marine, de l’intérieur et de l’instruction publique ont officiellement autorisé la souscription. A cette souscription, tous les vrais Corses doivent avoir a cœur de participer: l’intérêt même de leur pays le leur commande: a l’origine de l’unité et de la grandeur de la France on trouve le culte de ses grands hommes qui donnèrent a la patrie le prestige de leur gloire. De même pour susciter et pour exalter en nous l’amour sacré de notre petite patrie, entretenons le culte de nos gloires corses; souvenons-nous de nos héros; tressons-leur des couronnes. C’est sur nous, aussi bien, que rejaillit leur gloire; c’est le sang de leur race qui coule dans nos veines, car nous sommes les fils de la même terre altière et rude qui, suivant le mot d’un de nos plus brillants orateurs, produit des fleurs, des rochers et des hommes!
De ce sentiment viendra notre fierté.
Et de cette fierté notre ardeur à vouloir et à réaliser, contre tous les obstacles, contre toutes les lâchetés, contre toutes les trahisons, la prospérité et la grandeur de notre bien aimée patrie corse.
Grossetti (Le Petit Marseillais du 20 septembre 1924 du Lt Colonel Rousset)
On a récemment inauguré, a Ajaccio, un monument élevé a la mémoire du général Grossetti, ancien commandant de l’armée française d’Orient. A cet hommage posthume, rendu par la Corse a son glorieux enfant, s’associeront tous ceux qui, pendant la guerre ont vu à l’œuvre ce brave homme et ce brave soldat.
De carrure massive et de stature imposante, il avait dans toute sa personne ce je ne sais quoi qui révèle le don du commandement. Son visage, aux traits fins mais volontaires, était éclairé par deux yeux d’un bleu d’acier, qui s’animaient dans la tourmente et lançaient alors des éclairs. C’était d’ailleurs le seul signe extérieur qu’il donnât de ses réaction intimes. Impassible et comme indifférent, même dans les moments les plus solennels, il opposait aux événements, quels qu’ils fussent, une figure de marbre et une sereine imperturbabilité. Sa bravoure étais légendaire, et ses soldats qui l’aimaient, s’inquiétaient de le voir si souvent braver le danger en exposant a découvert aux coups de l’ennemi la large cible de son corps. D’aucuns aussi l’accusaient d’agir ainsi par bravade. Mais outre qu’une pareille bravade n’est pas précisément à la portée de tout le monde, on peut affirmer qu’ils se trompaient.
Le chef qui, à la guerre, en impose le plus à ses hommes et peut le plus exiger d’eux, n’est pas celui qui crie ou se démène. Le fracas de la bataille et le souci personnel de la conservation lui font trop de concurrence. On ne l’entend guère et on s’habitue à ses grands gestes. Tandis qu’un général dont le courage froid domine l’agitation générale affirme ainsi une maitrise qui inspire confiance et respect. Turenne, quand le canon commençait à tonner, disait: « Tu trembles, carcasse! Tu tremblerais bien davantage si tu savais ou je vais te mener. » Et à Montereau, Napoléon, voyant que les conscrits de 1813 fléchissaient un peu, poussa son cheval sur un obus qui fusait a terre et le laissa éclater sous lui. « Le boulet qui doit me tuer, dit-il à haute voix, n’est pas encore fondu! » Et les conscrits, alors, allèrent à l’assaut en chantant.
Grossetti connaissait ces précédents héroïques. Il s’en faisait un exemple et en quelque sorte une règle. Voilà pourquoi, dans les minutes graves, on le voyait exposer sa personne avec une insouciance apparente qui déconcertait les timides, mais, souvent aussi, les électrisaient.
On a cité gageure qu’il tint contre la mort quand, voyant ces soldats hésiter sous un marmitage effroyable, il commanda qu’on lui apportât une chaise, et s’assit tranquillement au beau milieu de la route, que labouraient les obus. C’était sur l’Yser, près de Nieuport, à l’automne de 1914. On avait pris un village dont, par la suite d’un fléchissement latéral, la conquête ne se pouvait garder. La retraite était difficile et particulièrement périlleuse. « Ouvrez vos parapluies », dit en riant le général. Ce qui voulait: « Servez-vous de vos sacs en guise de boucliers. » Devant un tel sang-froid, les hommes se ressaisirent, et, grâce au bon ordre, la rivière fut franchie sans trop de dégâts.
Des actes pareils, on en citerait des centaines à l’actif de Grossetti. Ce n’était cependant ni un téméraire, comme d’aucuns l’ont prétendu, ni un dilettante s’offrant au danger par ostentation. S’il risquait sa vie, ce n’était point « pour le plaisir », a la manière des duellistes de Marion Delorme. Seule, la réflexion dirigeait sa bravoure, et lui commandait de payer de sa personne, afin que tout le monde en fit autant. Quand, sous les ordres de Foch, il exécuta le mouvement sauveur des marais de Saint-Gond, qui allait assurer la victoire, les conjonctures étaient graves. La moindre hésitation, le moindre retard pouvaient tout perdre. Et il fallait surtout que l’attaque de la 41e division, se détendant a son heure, fut exécutée avec la plus extrême vigueur. Grossetti, par son énergie et la netteté de son commandement, sut inspirer aux troupiers l’ardeur qui l’animait lui-même. Il fut, dans sa modeste sphère, un des meilleurs artisans du salut nationale. « La balle est folle », disait Souvarow. Si folle qu’elle fut, elle respecta ce brave, qui s’obstinait a la narguer. Ne s’en remettant qu’a lui-même du soin de diriger le combat que soutenaient les unités sous ses ordres, il se plaçait toujours là ou il pouvait le mieux voir ce qui se passait, de façon a dominer, en temps opportun, les événements contraires. Il ne se fiait pas au téléphone, dont les fils sont parfois vulnérables, ni aux rapports indiquant une situation, qui déjà n’est plus la même quand ils arrivent à destination. Il n’en croyait que ses yeux, parce qu’ils étaient bons et surs. Il cherchait donc, de préférence, les endroits où ces yeux pourraient lui servir. Audace excessive ou ostentation vaine? Nullement, mais calcul et sage préméditation.
Grossetti était de la bonne école, celle qui croit que la guerre s’apprend, parce qu’elle doit se faire suivant des principes immuables et éternels. Si déterminé de caractère qu’il fut, il se gardait soigneusement de cette impétuosité funeste qui, en 1914, dirigea si mal nos premiers pas. Il avait foi dans les méthodes d’offensive prudente et raisonnée qu’une génération d’officiers jeunes et généreux, mais imprudents, avaient un instant voulu reléguer aux vieilles lunes. Et surtout il se fut dressé avec indignation contre ces théories singulières dont on nous abreuve, et qui font de la victoire un acte de soldats, sinon la caresse d’un hasard dans lequel le génie du chef n’a rien à voir. Thèse dissolvante et misérable, qui détruit la confiance au profit de je ne sais quel fatalisme impuissant. Grossetti, ce vaillant, n’a pas eu la consolation de mourir sur le champ de bataille. Les fatigues, les veilles, les morsures de la fièvre l’ont couché sur un lit d’hôpital, où il a succombé le 7 janvier 1918, avant d’avoir vu le triomphe de nos armes. Mais tous ceux qui l’ont vu sur l’Yser, à Saint-Gond, a Ramscapelle et en Orient, honorent sa mémoire et l’affection de ses compatriotes sauvera celle-ci de l’oubli.
Le martyre du curé de Varreddes (par F. Martin-Ginouvier) Grossetti, choisi à l’ampleur de sa carrure morale.
Les bons chefs (La lecture du 10 Février 1918)
Un jour, racontait un de ses anciens poilus, à Salonique, il voit un homme sur le bord de la route, tout triste.
-Tu as encore le cafard ? Tu penses à ton « chez toi » ?
-Oui, mon général…
-Tu sais bien que tu ne peux pas rentrer encore en France… Allons, lève-toi et viens avec moi… Nous ferons route ensemble et tu me parleras, comme à ton voisin de lit, de ta maison.
Le poilu se leva, et suivit… Une heure après il était tout gai… Le général Grossetti, en chemin, lui avait conté des histoires joyeuses de sa jeunesse, et, ainsi, lui avait remonté le moral.
La chaise du Général Grossetti (La Croix du Nord du 26 Avril 1925 de Theodore Botrel)
Avec sa simplicité légendaire, et comme je lui parlais de son attitude sublime a Pervyse et a Dixmude, il s’écria: Ah! vous faites allusion à ma chaise et à ma canne! Pensez donc: Grossetti, tranquillement assis sur une chaise, canne en main et cigare a la bouche, restait impassible sous la mitraille. Ça fais bien dans les journaux et on dit « Quel héros… », si vous saviez, cependant, a quoi cela se réduit!
« Ecoutez: j’étais debout depuis des heures à l’embranchement des routes de Pervyse et Dixmude…
Je ne tenais plus sur mes chevilles enflées et douloureuses: alors, je demandais un escabeau, une chaise quelconque, pour m’y reposer. Dans une maison en ruine, on déniche par extraordinaire, une chaise à peu près intacte. Je m’assois. Les troupes qui défilaient sans cesse sur la route à l’entrée de laquelle j’étais posté, lorgnette en main, rigolaient de me voir la, tranquillement assis: et elles criaient: Vive le Général… Si les braves gars m’avaient vu à cheval, bien plus en danger certainement, ils auraient trouvé cela tout naturel. Mais sur une chaise, pensez donc! Oh! Et puis, attendez ce n’est pas tout: Voilà qu’à son tour un régiment de Sénégalais défile devant moi… la canne à la main. Pas de vulgaires bâtons, vous savez, mais de vraies cannes de copurchics!… Ce qui s’était passé? Voici: Dans Ypres, ou cantonnaient ces Sénégalais, le Grand Bazar ayant pris feu, le patron de l’énorme magasin avait réquisitionné en hâte, deux ou trois camions dans lesquels il jetais ses marchandises: mais, comme la main-d’œuvre manquait « A moi les « sidis! » Cria-t-il. Un coup de main… et je vous livre, gratuitement, le rayon de cannes ».
« Et c’était ce « rayon » qui défilait devant moi! Soudain, un des noirs se détacha du rang et, déposant son bambou verni entre mes jambes, me dit: Tiens, ma Général; moi y a plus besoin de ça; moi y a ma flingot! » et, hilare, il courut rejoindre ses camarades. « C’est tout. Et voilà l’histoire, pas héroïque du tout, hein? de la chaise et de la canne du gros papa, Grossetti! »
Mais, insistai-je, il y avait aussi, tout de même, des marmites tout autour, mon Général? « Dame oui! Quelques-unes… mais n’exagérons rien ».
Il n’empêche qu’un attaché militaire anglais qui, pale comme un mort, mais très crâne, ne voulut pas lâcher le général d’une semelle allait répétant, depuis lors: « Général Grossetti? Parfais gentleman, yes… mais de fréquenté chum dangérous! »
Un brave (LA CHARENTE du 04 et 05 Juin 1923)
On vient d’inaugurer au cimetière du Père-Lachaise, a Paris, le monument érigé par souscription publique au général Grossetti.
Cet éminent soldat justifiait son nom. Il était un des plus gros et des plus grands de l’armée française. Géant obèse, il évoquait le personnage imaginaire de Porthos, créé par Dumas père.
Or, cet homme qui, par sa taille et sa rotondité, offrait une si magnifique cible aux balles et aux éclats d’obus, pratiquait un mépris du danger presque incroyable. Afin d’encourager, par son exemple, ses subalternes, il se plaisait a s’asseoir a califourchon sur une chaise, aux points les plus exposés, et la, fumant sa pipe avec une inaltérable sérénité, il écoutait gravement les rapports que lui apporteraient les officiers et agents de liaisons. Rapports d’ailleurs assez souvent sommaires et volontairement écourtés, ceux qui les faisaient ne tenant pas a s’éterniser a cette place. Quand ils marquaient un peu de nervosité, le général souriait et se mettait a leur raconter une petite histoire.
Cet invraisemblable sang-froid eut sa récompense. Le général Grossetti fit toute la campagne sans recevoir une égratignure.
Il était juste que ce héros eut son monument.
Le Général Grossetti (L’AMBULANCE de Février 1918)
Gravement atteint dans sa santé, alors qu’il avait pris le commandement de l’armée d’Orient, le général de division Grossetti, s’est éteint. C’est une impérissable figure de soldat qui disparait.
Paris, en lui rendant son ultime hommage, honore en lui l’un des héros de la Marne. A propos de Grossetti, Ch. Le Goffic, écrit, dans Les Marais de Saint-Gond: « Il est 4 heures 1/2 du soir. On attend toujours la 42eme division, annoncée pour midi, puis pour deux heures, puis pour 4 et qui n’arrive pas. Que fait-elle? Pourquoi n’est-elle pas encore rendue? A-t-elle changé d’objectif en route et s’est-elle portée au secours d’Humbert au lieu de descendre sur Pleurs? Seule, elle peut sauver l’armée, qui ne se soutient plus que par son intervention, qui menace de s’effondrer a chaque effort nouveau de l’ennemi et que Foch redresse a coup de bulletins optimistes, d’appels a l’énergie de la race, de communication sur les progrès, hélas! si lent de Grossetti. Tout ce grand corps rompu et déjà presque gisant halète vers elle, la presse, l’implore; Foch lui dépêche estafette sur estafette; Moussy détache a sa rencontre deux escadrons du 7eme hussard. Une immense angoisse étreint les cœurs. C’est qu’il n’y a plus un instant a perdre: deux de nos divisions sont coupées du gros de l’armée et Von Hausen les chasse comme des feuilles mortes devant lui.
La 42eme division arrive enfin; elle descend les pentes, son chef en tête, a cheval, terrible et beau, sur la pourpre du couchant, comme le dieu même des combats. Un avion la survole depuis broyes: a Saint-Loup, l’oiseau pique vers ses lignes. Qu’il aille et leur dise de se replier tout de suite qu’a ce prix seul elles éviteront le désastre. » La « fissure » se produit et la 42eme division donne « le coup de belier ». Et l’ordre d’offensive générale est donné. Puis, Ch. Le Goffic, conclut: « Les chefs battent le rappel de leurs troupes; des régiments n’ont plus de colonel ni d’officiers supérieurs; des compagnies sont commandées par des sergents; mais une sorte de redressement magnétique s’est opéré sur toute la ligne; on n’en peut plus, et l’on se sent comme soulevé par une force intérieur, emporté par une irrésistible vague de fond. Merveilleux ressort de l’âme française! A six heures du soir, appuyée par trois groupes du 61eme d’artillerie, la 42eme division se lance en formation articulée du front. Linthes-Linthyelles dans la direction de la trouée d’Oeuvy; a huit heures, deux des autres groupes du colonel Boichu concentrent leurs feux sur les « au-delà » de Connantre, ou la voie ferrée bifurque vers Fère-Champenoise et qui commande l’accès de cette ville donnée pour objectifs a Moussy. La cote 184 et Connantre sont enlevés dans la nuit sans grande résistance et c’est qu’en réalité, comme à Mondement, devant le 77eme, comme a Gourgancon devant Eydoux, comme a Fère même devant le 34eme brigade, l’ennemi n’avait plus la qu’un rideau de troupes, une façade d’effectifs.
L’alarme de l’aviation avait été entendue.
Telle est la page glorieuse « vécue » par le général Grossetti pour l’histoire de la grande guerre.
Aux journées inoubliables des 8 et 9 septembre 1914, il convient d’ajouter les faits d’armes fameux de la 42eme division, une des plus belles de l’armée, lors des premiers jours de novembre 1914, au plus fort de la bataille de l’Yser, devant le château de Dixmude. A cet effet, M. Raymond Recouly, dans l’Illustration, compare Grossetti, au milieu de ses marins fusiliers, a un « chef de choeur » menant le branle, donnant le rythme et corrigeant le tir avec sa haute taille et a sa très forte corpulence, son « rond visage rougeoyant, encadré d’une barbe broussailleuse, blanchissante. » Le « gros Homme » c’est ainsi qu’on l’appelait, « faisait l’effet d’un dieu de la bataille. » Il donnait une « impression de solidité massive, mais aussi de précision et de décision. » Sa division quitte la Champagne, se transportant en hâte dans les Flandres. Et il barre inexorablement la route au Teuton. Au général Humbert, Grossetti déclare alors simplement:
Mon général, nous faisons la cueillette des Boches. Nous en avons déjà ramassé cinq ou six cents. Mais il en reste encore dans les trous.
Ensuite, à la tête d’un corps d’armée, il mène vaillamment diverses offensives. Et on l’envoie à Salonique pour y commander l’armée française de Macédoine. Il a bravé cent fois, mille fois la mort. Invulnérable, les champs de bataille l’épargnent miraculeusement et, il meurt dans son lit, à Paris, rue des Volontaires… Le chef de l’héroïque division de Verdun, fait commandeur de la Légion d’honneur après l’Yser, grand-officier en Macédoine, avait l’âme généreuse et simple. D’ailleurs, dans le Figaro, M. Latzarus, le peint ainsi: « Grossetti ne se souciait point du bleu-horizon ni des modestes petites étoiles…S’appuyant sur sa canne, il allait d’un pas lent et pesant, faisait des gestes, s’arrêtait, repartait… Mais surtout il avait coiffé le képi le plus rouge et le plus doré qu’aucun général ait jamais posé sur sa tête… Les artilleurs ennemis, a quelques centaines de mètres, devaient clairement l’apercevoir. Au reste, il semblait avoir pris toutes ses précautions pour ne point leur être caché. » Aussi bien, Grossetti avait-il pris un ascendant énorme sur ses hommes avec lesquels il s’ entretenait familièrement. En voici quelques traits:
-A l’aide de camp du maréchal French, en pleine action, il affirmait: « Comme mon nom l’indique, je suis trop gros pour reculer! »
-Sur l’Yser, assis sur un pliant, sous la mitraille, il interroge un détachement battant en retraite:
Ou allez-vous, mes enfants? J’espère que vous ne battez pas en déroute! -La grande « affaire » militaire de Grossetti c’est surtout Ramscapelle. Là, il oppose l’artillerie alliée à la « lourde » allemande car il défend la route de Dunkerque ouverte, et il d’adresse au colonel Claudon:
Je vous donne une heure pour reprendre Ramscapelle. En une demi-heure c’était fait. Quelques jours après, Grossetti était nommé au commandement du 16eme corps. La France en deuil n’oublie pas le général de division Grossetti et elle s’incline devant la douleur de sa noble femme, membre d’honneur de la « Croix-Verte » dont l’inépuisable dévouement pour nos Poilus et notamment ceux de la « Croix-Verte » qu’elle reçoit chez elle depuis les hostilités ajoute même à la gloire de son mari.
On inaugure au Père-Lachaise le monument du général Grossetti (Le Petit Parisien du 3 juin 1923 du maréchal Foch)
Une armée peut être fière, de posséder des chefs de la valeur de Grossetti, communiquant a leurs soldats les vertus qui les animent. Grossetti doit rester pour nous un grand souvenir, un exemple admirable de ces vertus française qui sont la source de tous nos espoirs.
Hommage belge au général Grossetti (Le Temps du 14 janvier 1918)
Le lieutenant-général de Ceuninck, ministre de la guerre, a adressé à l’armée belge l’ordre du jour suivant:
J’ai l’honneur et le regret de porter a la connaissance de l’armée la mort du général de division Grossetti, qui commandait sur l’Yser la 42eme division d’infanterie. Les combattants de 1914 se rappelleront avec émotion le brillant officier général et le concours dévoué qu’il apporta a notre armée dans son héroïque résistance aux assauts furieux de l’envahisseur.
Au nom des défenseurs de l’yser, je lui adresse un suprême adieu.
Brave, mais dangereux (Le Rappel du 14 mars 1915)
L’histoire est derrière nous; elle est surtout devant nous. Déjà on nous rapporte certains faits qui la constituent. C’est l’attaque d’un corps allemand que le général Moussy prit de flanc après avoir réuni à la hâte trois cents hommes, et qu’il obligea à la retraite. C’est, a Pervyse l’attitude du général Grossetti. Cet officier souffrant, dirige le combat de la chaise qu’il a fait installer en un carrefour soigneusement arrosé par les « marmites » de l’ennemi: un officier anglais, debout, reçoit ses instructions au milieu de la mitraille, sans broncher. Interrogé a son tour sur l’impression que lui a causé le général Grossetti, il répond: « Sans doute, c’est un homme très brave, mais il est dangereux. »
L’ombre de Grossetti (Le Rappel du 1 avril 1918 de Le Tapin) Tandis qu’ils remontent vers les Flandres, ou ils ont combattu sur l’Yser, des « six brisques » évoquent la mémoire des grands chefs, des bons chefs qu’ils ne reverront plus. L’ombre du général légendaire Grossetti est avec eux.
C’était le « pépère au pliant ».
Son nom reste accolé a ceux des fusiliers marins de l’amiral Ronarc’h. Son Influence morale sur la troupe était immense. Les Anglais, qui s’y connaissaient en sang-froid, le tenaient pour personnage fabuleux.
Le général Grossetti, qui était atteint d’un embonpoint pour le moins… divisionnaire, avait coutume d’emporter un pliant au plus fort des attaques ennemies.
Il choisissait le point le plus mitraillé, allumait sa pipe, ouvrait son pliant, et le plus tranquillement du monde, s’asseyait. Un jour, un officier de liaison anglais vint, en pleine bataille, pour lui demander des instructions.
« Dites-lui, répondait le général a « l’estafette », que je ne peux pas aller le trouver dans le village: j’ai la flemme. Mais invitez-le à venir s’asseoir près de moi, nous pourrons causer à l’aise. »
A l’aise! L’officier anglais vint; s’assit flegmatiquement.
En repartant il décrira, un peu pale: « qu’il n’avait jamais vu une chose pareille. » Le poilu sans rival (Le Rappel du 2 mai 1918)
Le Daily Mail fait un vibrant éloge de l’infanterie française, qui n’a pas, dit-il, sa pareille. « Une fois de plus, écrit-il, les alliés ont contracté envers l’armée française et sa glorieuse infanterie une dette de reconnaissance pour la reprise de Locre et de Hangard.
Comme aux jours sombres de 1914, elle est venue a notre secours dans un esprit de vraie et loyale camaraderie. Les hommes qui tinrent a Verdun, qui avec nous vainquirent sur la Somme, qui maintenant combattent a nos côtés dans cette grande et terrible bataille pour la défense de la cote, peuvent être tués; ils ne peuvent pas être battus. Mais, ce que nous admirons surtout, dans ces hommes si vaillants, si généreux, si oublieux d’eux-mêmes, c’est qu’ils cachent leurs plus nobles actes sous une plaisanterie, tel le général Grossetti refusant de se retirer, parce que, prétendait-il, il était trop gros pour s’enfuir, et tels ses hommes, qui continuaient a tenir pour montrer qu’ils étaient faits du même bois que leur chef. »
GROSSETTI (Le progrès de la Cote-d’Or du 17 janvier 1918 de P. Chaumet)
La victoire de la Marne avait arrêté l’invasion allemande et l’avait rejeté au nord de l’Aisne. Mais l’état-major allemand, un instant déconcerté, essayait d’enfoncer nos ligne entre la Woevre et la Meuse; après une surprise qui fit tomber entre ses mains le fort des Romaines, l’ennemi se voyait arrêté a Chauvoncourt, en face de Saint-Mihiel. N’ayant pu percer notre flanc droit, il reporta tous ses espoirs sur le débordement de notre aile gauche. Ce fut alors, dès la dernière semaine de septembre 1914, la course a la mer pour gagner de vitesse l’armée allemande et tacher de déborder, a notre tour, notre aile droite. Pendant deux semaines, la double manœuvre tint le monde en suspens; lequel des deux adversaires déborderait l’autre? On opposa d’abord cavalerie a cavalerie, Conneau et de Mitry a Morwitz. Derrière ce rideau, le haut commandement transportait, en toute hâte, états-majors et corps d’armée en Picardie et en Artois, Castelnau, appelé de l’Est, couvrait Amiens avec la deuxième armée; Maudhuy, détaché de l’Aisne, le prolongeait en Artois, couvrant Arras. Mais la Flandre restait ouverte, et de nouvelles forces ennemies pouvaient, de Belgique, déboucher d’un instant à l’autre, venant faire leur jonction avec celles qui, précédées de la cavalerie de Morwitz, montaient du sud.
La Flandre semblait livrée. Elle n’avait pour la défendre que deux brigades territoriales venues de Dunkerque, deux divisions de l’armée Maudhuy et une brigade de cavalerie. Il fallait bien d’autres forces et d’une autre importance, d’autant plus que, le 9 octobre, un pigeon arrivait a tire-d’aile a la place de Paris; il portait sous son aile la première nouvelle d’un événement bien grave, qui tenait dans ce court message, venant de la ville assiégée: ANVERS ENVAHI!
La ville tombait trop vite.
L’armée anglaise, transportée sur sa demande vers le nord, allait collaborer à la bataille des Flandres, tandis que la 7eme division britannique, sous les ordres de sir Henry Rawlinson, marchait sur Anvers. 6000 fusiliers marins, sous les ordre de l’amiral Ronarc’h, dirigés de Paris sur Dunkerque, suivaient la même voie. Brigade et division pensaient être, en Belgique, les avant-gardes de l’armée alliée elle-même. La chute prématurée d’Anvers modifia leur rôle. Arrêtées à Gand, elles servirent, avec la cavalerie du général belge Wilte, a protéger les troupes du roi Albert, qui, le long du littoral, s’écoulaient vers le sud-ouest. Le 11 octobre, l’armée belge était parvenue dans la région de Thourout-Ostende, et, par sa sixième division, elle atteignait les environs de Dixmude. Sur les instructions du général Joffre, sollicitées par le roi Albert, qui se rangeait sous ses ordres comme l’armée anglaise, elle eut comme but la région de Nieuport-Furnes-Dixmude.
L’amiral Ronarc’h se chargeait d’assurer la droite de l’armée belge, et on sait comment il s ’en acquitta. Pour protéger l’aile gauche de l’armée belge, on demandait la coopération de l’escadre britannique, en attendant qu’une division française, la 42eme, put être amené par Dunkerque dans la région de Nieuport.
Le 17 octobre, les premiers obus tombent sur la cathédrale de Dixmude, qui est bientôt en flammes. Le 18, l’ennemi attaque a la fois a Lombartzyde et a Dixmude, et, le 20, il commence l’assaut de la ville, qu’il renouvellera vingt jours de suite.
Mais, le soir du 21, un bruit court de Furnes a Nieuport, a Ramscapelle, a Tervalle, a Dixmude: « Les français arrivent! » C’est la 42eme division, qui, sous les ordres du général Grossetti, s’était couverte de gloire a la bataille de la Marne, notamment à la reprise de Fère-Champenoise. A la nuit, dans Furnes angoissé, une éclatante fanfare de clairons exalte les courages. C’est le 16eme bataillon de chasseurs à pied, qui, au son de la « Sidi-Brahim », faisait son entrée, avant-garde de Grossetti.
Le roi Albert sort de l’hôtel de ville, pour saluer, avec une joie qu’il ne cherche pas a dissimuler, l’arrivée des vainqueurs de Fère-Champenoise, au milieu de l’enthousiasme de la foule. Bientôt le général Grossetti se présente au roi.
C’est un homme de haute taille, large, fort, robuste, qui, par son sang-froid et sa bravoure, inspire a ses soldats autant d’admiration que de confiance.
L’arrivée de la 42eme division est bientôt connue de Nieuport a Dixmude et raffermit tous les cœurs. Le même soir, sur la mer, les monitors de l’amiral Hood et les contre-torpilleurs français faisaient feu de tous leurs canons. C’était la bataille française des Flandres qui commençait. Le général Foch disposait enfin d’une armée.
Concentrée a la Clytte et a Nieuport, la 42eme division est bientôt poussée en avant. Dès le 22, elle occupe Lombartzyde et, dans la nuit du 22 au 23, elle passe tout entière l’estuaire de l’Yser, appuyée par la flotte alliée. Elle doit attaquer sur Slype, entre Lombartzyde et Ghistelles. Un incident survenu sur sa droite l’oblige a ne laisser qu’une brigade a Lombartzyde et a jeter son gros vers Pervyse, menacée par de nombreux bataillons allemands.
Bientôt toute la 42eme division, moins les trois bataillons nécessaires a la défense des écluses de Nieuport qui allaient rendre un si précieux service! est chargée de la défense du secteur de Ramscapelle, du canal de Nieuport au canal de Shooberke, pour que tout au moins la chaussée des chemins de fer soit garantie contre toute surprise, notamment a Pervyse.
Les écluses de Nieuport avaient été ouvertes, l’inondation montait trop lentement au gré des alliés, trop vite au gré des Allemands, qui, sentant la proie convoitée leur échapper, se ruent vers la fin de la nuit, avec des forces considérables, sur Ramscapelle, tenue par les Belges exténués et a bout de forces. Déjà, les Allemands, maitres de la voie ferrée, se croient, vainqueurs et pensent s’établir au-delà de la plaine inondée. A ce moment, le général d’Urbal écrit au général Humbert: « L’incident de Ramscapelle ne modifie pas mes instructions. Grossetti rétablira certainement cela. Donnez-lui un bataillon et un groupe, si vous le jugez nécessaire, mais ne vous laissez pas influencer par ce qui se passe de son côté; vous vous habituerez comme moi a avoir mal à l’épaule gauche ». Et, en effet, Grossetti rétablit.
C’est ce général qu’on enterrait l’autre jour à Paris avec une solennité digne de son mérite et de ses services. Les honneurs qui lui ont été rendus et surtout l’émotion de ceux qui l’ont connu, comme le maréchal Joffre, témoignent de la perte que la France a faite en sa personne. On pouvait encore beaucoup attendre de sa valeur et de son autorité. Or, ce général qu’on nous a représenté audacieux jusqu’à l’imprudence la plus inutile et la plus injustifiée, il se promenait sur le front de Champagne, en pantalon écarlate, sa forte tête coiffé d’un képi très rouge aux dorures éclatantes, ne devait pas trouver la mort sur les champs de bataille.
Les états-majors se dérangeaient de leur itinéraire pour le rencontrer: « Nous ne pouvons pas passer si près de Grossetti, disait-on, sans aller voir ce phénomène ». Il justifia, en effet, jusqu’au bout, sa réputation d’être « invulnérable » au feu de l’ennemi. C’est une réputation qu’il ne faut pourtant pas rechercher en notre temps.
Mais le général invulnérable aux balles et aux obus, qui s’était couvert de gloire sur l’Yser et a Verdun, devait contracter, a Salonique, la maladie qui, en quelques mois, avait raison de sa robuste constitution et de sa forte stature. C’est dans une chambre silencieuse du quartier Vaugirard que s’est éteint ce soldat, qui aurait voulu être frappé au milieu de l’ouragan de la bataille.
La France voit disparaitre avec lui un véritable chef. Nous avons donné une idée sommaire de sa valeur en feuilletant un livre de M. Louis Madelin: « La Mêlée des Flandres »; mais l’essentiel en ce temps ou les événements se succèdent avec tant de rapidité, est que ce nom ne tombe pas dans l’oubli: GROSSETTI
LA TROISIEME ARMEE DANS LA BATAILLE (Ouvrage du général A. Tanant de 1922)
A 23h (10/08), je venais de regagner ma chambre quand on vient m’appeler. Je descends vivement au 3eme bureau ou règne une certaine agitation. L’officier de service a reçu un rapport du général de Lartigue commandant la 8eme division. Il rend compte du combat qui viens d’avoir lieu a Mangiennes. Grosse attaque. Pertes terribles et le combat continue…
Le 11 aout, vers 7h, je reçois un récit impressionnant du combat et cours chez le chef d’état-major pour le lui lire.
Assis au bord de son lit, le général Grossetti écoute. Quand j’arrive a cette phrase que je lis avec un tremblement dans la voix: « Nos soldats s’élancent a la baïonnette sous le feu des mitrailleuses en chantant la Marseillaise », les yeux de mon chef se remplissent de larmes, il me prend les mains et en sanglotant il me dit: « Ah, mon ami, que c’est beau! Avec de pareils soldats nous sommes surs de vaincre. Ah, les braves gens!. Je ne sais si beaucoup de mes camarades ont vu pleurer l’intrépide soldat que fut Grossetti. Je l’ai vu.
Mais les pertes? Environ 600 blessés et plus de 120 tués. C’est un coup dur.
LE GENERAL GROSSETTI SUR LA MARNE EN SEPTEMBRE 1914 (Cahier du CESAT N°27 de mars 2012 par le Lt-colonel Remy Porte)
Dans le cadre du profond renouvellement du commandement auquel le Général Joffre procède au début de la Grande Guerre, le cas du Général Paul-François Grossetti est tout à fait intéressant, car il contredit bien des idées reçues sur ces fameux «limogeages». Né en 1861, Saint-Cyrien ayant choisi l’infanterie (il sert alternativement dans «la ligne» et dans «la légère», en Algérie et au Tonkin comme en métropole), il est breveté de l’École supérieure de guerre avec la mention Très bien en 1892. Aux premiers jours d’août 1914, il rejoint son affectation du temps de guerre comme chef d’état-major du Général Ruffey, commandant la IIIème armée française, et participe avec celui-ci durant la deuxième quinzaine du mois à la désastreuse «bataille des frontières». Ces échecs entraînent en particulier le remplacement de Ruffey par Sarrail, mais le commandant de la IIIème armée n’est pas seul visé, et Joffre a des mots très durs pour Grossetti: «Voulant tout faire par lui-même, utilisant mal son personnel, des retards fâcheux, des oublis plus fâcheux encore dans la transmission des ordres lui étaient imputables». Toutefois, si le Général Grossetti ne semble pas taillé pour faire un chef d’état-major de premier plan, le commandant en chef ne le considère pas moins comme un «magnifique soldat»: Joffre, qui sait juger les hommes, subodore «qu’il rendrait plus de service à la tête d’une division». C’est ainsi que le même jour, le 30 août, Grossetti est relevé de ses fonctions à la IIIème armée (où il est remplacé par le colonel Leboucq) et immédiatement nommé au commandement de la 42ème division d’infanterie.
Cadre général
Il faut, pour apprécier dans leur contexte les évènements qui suivent, prendre en compte trois facteurs: d’une part, les armées allemandes ne cessent de progresser vers le sud; d’autre part, le vaste et massif mouvement de bascule des forces de la droite (Alsace Lorraine) vers le centre (Champagne) et la gauche (région parisienne) du dispositif français a été engagé par le GQG; enfin, cette réorganisation s’accompagne de la création ex-nihilo d’un détachement d’armée Foch, transformé en quelques jours en une nouvelle IXème armée. Ces éléments ont plusieurs conséquences objectives: l’avance allemande provoque d’importants encombrements sur les axes de circulation et la dislocation de nombreuses unités, dont les P.C. doivent se replier quotidiennement; la bascule des divisions d’est en ouest entraîne une surcharge des moyens de transport et il faut plusieurs jours pour que les régiments d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie soient à nouveau regroupés avec leurs moyens organiques, et donc opérationnels; le détachement d’armée Foch, qui doit tenir la position centrale et assurer la jonction avec l’armée de Langle à sa gauche (elle-même en retraite), ne compte encore au 29 août que… 5 officiers, dont le général et deux lieutenants- colonels (Weygand et Devaux). Il doit néanmoins être rapidement constitué des 9ème et 11ème CA, des 52ème et 60ème divisions de réserve, de la 9ème DC et de la 42ème DI prélevées sur d’autres armées. André Tardieu se souvient: «Personne au GQG n’avait pu nous renseigner sur l’emplacement exact de nos divisions», toutes en mouvement. C’est assez dire que, dans de telles circonstances, l’engagement rapide d’une grande unité interarmes venue d’un autre secteur du front dépend en grande partie des qualités foncières et de l’investissement personnel de son chef. Venue de la IIIème armée (à droite du détachement Foch), au sein de laquelle elle se replie tout en menant des combats retardateurs, la 42ème division doit être insérée à l’extrême gauche du nouveau dispositif, alors que dans la période du 29 août au 5 septembre le modeste état-major de Foch recule de près de 120 kilomètres, entre Attigny et Plancy, des Ardennes aux rives de l’Aube. La division, considérée comme la meilleure du 6ème CA, commence à embarquer à Verdun dès le 30, le jour même de la prise de commandement de Grossetti, et se regroupe à partir du 31 en milieu de journée le long du ruisseau de la Retourne, que Foch a fixé comme première ligne de défense à partir de la journée du 1er septembre. Pour le général commandant la future IXème armée, en effet, la 42ème DI est «vigoureusement commandée» et a été moins affaiblie au cours des jours précédents que ses 9ème et 11ème CA. Il lui revient donc d’assurer la difficile mission prioritaire de conserver la liaison avec l’armée de Langle, tout en poursuivant, pendant cinq jours, la retraite. Grossetti est partout, se déplace d’un régiment à l’autre, réchauffe les ardeurs et maintient le courage de chacun, tout en remettant de l’ordre dans ses unités. Pour Foch, dès le 2 septembre, «la situation tactique s’était sensiblement améliorée grâce à la solidité et à la continuité rétablies de notre front, grâce à la liaison maintenant assurée à gauche avec la Vème armée». Le 5 septembre, le détachement d’armée Foch est doté de ses propres services de l’arrière et devient IXème armée. Le même jour, ses arrière-gardes sont sur une ligne Sommesous, Fère-Champenoise, Sézanne, lorsque parvient l’ordre du GQG: «Il convient de profiter de la situation aventurée de la Ière armée allemande … Toutes dispositions seront prises dans la journée du 5 en vue de partir à l’attaque le 6». Dans le cadre de la mission de la IXème armée (tenir les débouchés sud des marais de Saint-Gond et le plateau nord de Cézanne), la 42ème DI reçoit la mission de cesser son mouvement de repli à hauteur d’Allemant et de Fère-Champenoise et de se préparer à «tenir les marais de Saint-Gond entre Bannes et Oye», tout en étant capable «d’agir demain en direction La Villeneuve-les-Charville, Vauxchamp», au bénéfice du 10ème CA voisin.
La bataille
Alors que les régiments français procèdent à un «demi-tour sur place» dans les conditions que l’on imagine pour occuper les positions de départ qui leur sont fixées pour le lendemain, les IIème et IIIème armées allemandes, toujours lancées vers le sud, poursuivent leur offensive et parviennent à franchir les marais. Installée dans le secteur de Mondement dans l’après-midi du 5, la 42ème DI est attaquée le lendemain matin sur toute l’étendue de son front. À sa gauche, avant de pouvoir être solidement tenu le soir, le village de Villeneuve est pris et perdu à trois reprises dans la journée; à sa droite, elle doit se replier sur la lisière nord du bois de Saint-Gond: «Au prix de pertes sérieuses et grâce à son héroïque résistance, cette division a brisé, dans l’ensemble, les efforts répétés et puissants de l’ennemi. À la nuit tombante, elle maintient l’occupation de sa ligne». Accompagné d’un simple peloton d’escorte et d’officiers de liaison, Grossetti a été au cœur de l’action, et la bonne tenue de sa division permet à la IXème armée de conserver la liaison avec sa voisine. Pour la journée du 7 septembre, la 42ème DI doit attaquer dans le même secteur avec le 10ème CA, mais l’offensive allemande est relancée avec vigueur dès le matin de part et d’autre des marais de Saint-Gond; et ce n’est que vers 18h00 que cesse l’effort ennemi devant les contre-attaques «agressives» conduites par Grossetti. Au soir, la situation de la IXème armée n’est pas brillante: la division marocaine et la 42ème DI résistent péniblement sur la gauche, le centre maintient difficilement ses positions et sa droite commence à céder. C’est l’origine de la fameuse affirmation prêtée à Foch, qui ordonne à la 42ème DI «de poursuivre énergiquement ses attaques en liaison avec les 9ème et 10ème corps». Au cours de la matinée, la division est la seule à progresser, par le bois de Soizy, le plateau de Villeneuve et Corfélix, mais Foch lui-même doit reconnaître que «la situation reste grave, notamment dans la moitié droite de mon armée». La célèbre manœuvre de Mondement est conçue le 8 septembre au soir, alors que depuis la veille, la droite de Foch ne cesse de perdre du terrain dans le secteur de Fère-Champenoise: «Il n’y a pas à hésiter, c’est à ma gauche en progrès qu’il faut puiser pour renforcer et sauver à tout prix ma droite en détresse». Dans le secteur de Soizy-aux-Bois, la 42ème DI doit être relevée en pleine bataille par le 10ème corps et, «à mesure qu’elle sera relevée de ses emplacements», se reformer en réserve d’armée entre Linthes et Pleurs pour être à nouveau immédiatement engagée sur la droite. Dès l’aube du 9, «alors que l’ennemi redouble la violence de ses attaques», c’est pratiquement sous le feu de l’artillerie allemande que Grossetti active les déplacements de ses unités, sans hésiter toutefois, au passage, à «prêter» deux bataillons de chasseurs et quelques batteries d’artillerie au Général Humbert, dont la division marocaine est en difficulté devant le château de Mondement. Ce mouvement de rocade d’ouest en est de plusieurs milliers d’hommes sur les arrières immédiats d’une ligne de feu sans cesse menacée d’être percée n’est pas une mince affaire. Annoncée au 9ème et au 11ème corps pour le milieu de journée, l’arrivée de la 42ème DI est retardée par les impondérables de la circulation dans la zone des combats et en particulier par l’aide apportée à la division marocaine. Mais Grossetti tient bien en main ses régiments, «admirables d’ordre et d’allure», et reçoit l’ordre de contre attaquer de part et d’autre de la route Connantre, Fère-Champenoise à partir de 16h00, horaire finalement reporté à 17h15. Les Allemands, éreintés par plusieurs jours d’assauts continus, se replient. La situation de la IX ème armée est sauvée. On a pu dire que l’arrivée tardive de la 42ème DI sur ses positions d’attaque avait fait dans la bataille en cours l’effet d’un «coup de poing dans le vide», mais c’est compter sans l’aspect presque psychologique de la traversée d’ouest en est de la zone de combat. Les unités allemandes sont aussi épuisées que les régiments français, et l’arrivée de ce renfort à la suite d’une manœuvre osée (les Allemands peuvent suivre la progression de l’artillerie de la 42ème DI) déstabilise le front de lutte. C’est alors la poursuite, vers Châlons, la Marne et, au-delà, la Suippe. En tenant à tout prix ses positions à gauche de la IXème armée, puis en basculant tous ses moyens vers la droite du dispositif, Grossetti a permis, entre le 6 et le 9 septembre, à l’armée Foch de tenir sur ses positions tout en conservant la liaison avec sa voisine puis, entre le 10 et le 13, d’accélérer le repli allemand. Le 25, elle s’empare du fort de La Pompelle et de la ferme d’Alger.
Une leçon
À partir du 1er et surtout du 4 octobre, le front se fige devant la IXème armée. Mais les opérations se poursuivent à l’extrême gauche des armées françaises, vers la Picardie et l’Artois: Foch est désigné pour coordonner l’action des armées alliées dans le nord. Il y retrouve le 21 octobre «la 42 ème division française, commandée par le Général Grossetti. C’est une troupe et un chef de premier ordre», transférée dans l’urgence dans la région de Furnes (Belgique), et qui se distingue à nouveau à partir du 23 sur l’Yser. Grossetti participe ensuite aux offensives de 1915 dans le nord, sert devant Verdun en 1916 et prend en 1917 le commandement des armées françaises d’Orient (AFO), sous les ordres de Sarrail. Mais, épuisé et malade, il doit être rapatrié sanitaire à la fin de l’année et décède au début du mois de janvier 1918. Il ne vivra ni les ultimes offensives allemandes, ni les contre-attaques des Alliés et, dans l’euphorie de la victoire retrouvée, sera souvent oublié. Joffre avait eu le meilleur jugement. Cet officier général n’était peut-être pas un excellent chef d’état-major, mais il s’est révélé être dans l’action un chef exceptionnel. Le quasi-limogé du 30 août 1914 est un des principaux artisans de la résistance aux marais de Saint-Gond et à Ypres. À l’issue de la Grande Guerre, pourtant, son souvenir s’estompe, et c’est Albert Ier de Belgique, le «roi-chevalier», qui offrira à la ville d’Ajaccio une statue de celui qui a tant contribué à briser la grande offensive allemande sur la Marne puis sur l’Yser.
COMBAT SUR LE FRONT (Revue d’Infanterie N°364 du 1er janvier 1923 du Lt. Colonel Meilhan)
Et je me rappelle, a ce sujet, un mot typique du général Grossetti. En 1914, en pleine bataille d’Ypres, il vint prendre le commandement du 16eme C.A. et il se rendit au P.C. du général de division dont j’étais le chef d’état-major. De suite, il exprima son intention de reprendre l’attaque avec des troupes nouvelles dont il lui annonçait l’arrivée et suivant une conception de combat qu’il exposa. Quand il eut terminé, il dit à l’officier d’état-major qui l’accompagnait: « Ecrivez! » et il commença a lui dicter un ordre… Mon général de division lui dit alors: « j’ai fort bien compris vos intentions, Mon General, je n’ai pas besoin de les avoir par écrit. » Et le général Grossetti de lui répondre: « Pardon, je ne doute pas avoir été compris, mais l’ordre écrit n’a pas seulement pour objet de faire connaitre les instructions du supérieur, il est fait aussi pour engager la responsabilité de celui qui le donne. » Je revois encore le regard que j’échangeai alors avec mon général de division; nous avions eu la même pensée: « Voilà un chef. »
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Couverture de magazines
LE PETIT JOURNAL DU 18-03-1917
(GRAVURE DE LOUIS BOMBLED)
LE PAYS DE FRANCE DU 20-09-1917
(PHOTO DE HENRI MANUEL)
LE PELERIN DU 27 JANVIER 1918
L’AMBULANCE DU 01-02-1918
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Photos
Penché sur sa carte, le général Grossetti, commandant l’armée française d’Orient, a son poste de commandement de Monastir en Macédoine. (Le Miroir du 16/09/1917)
Général Grossetti en 1912 comme colonel du 26eme RI à Nancy
Général Grossetti en 1917 sur le front de Serbie avec Justin Godart et le général Venel.
Général Grossetti dans son bureau a Florina en 1917 (photo de Paul Dubray)
Général Grossetti et son état-major a Florina en 1917 (photo de Paul Dubray)
Général Grossetti a son P.C. dans la boucle de la Cerna en 1917
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Le « five o’ clock » du général
Les ordres, arrivés à l’ instant, sont formels:
En dépit des assauts, des obus, des shrapnells, Tenir, tenir toujours dans le petit village,
Que, depuis le matin, on attaque avec rage.
Le général, bon chef, stratégiste averti,
Et fin lettré, de plus, s’appelle Grossetti.
Adoré du soldat, calme autant qu’intrépide,
Il a tout du héros….mais rien de la sylphide.
Son embonpoint fameux, presque proverbial, Est bien connu de tous, surtout de son cheval, Il sourit le premier, d’ailleurs, l’excellent homme, De mériter si bien le non dont il se nomme….
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Donc, il fallait tenir jusqu’au soir, sans broncher. Et trois heures venaient de sonner au clocher, Qui, près du cimetière, ou s’alignent les tombes, Se dressait, vierge encore de l’outrage des bombes. On était en Octobre, et le soleil brulait.
Sur la grande place, à l’ombre mince d’un volet, Tranquillement assis sur une chaise prise,
Pour lui, par un soldat, dans le chœur de l’église, Le général donnait ses ordres, épongeant,
Son front rouge, sous ses courts cheveux blancs d’argent, Et dès que les soldats, que la peur semblait mordre, De la ligne de feu s’échappant en désordre, Inquiets, désunis, passaient auprès de lui :
– Eh bien ! Qu’avons-nous donc, mes enfants aujourd’hui ? Vous courez, vous trottez…. A votre âge on est leste…. Mais moi, je suis trop lourd pour courir…. Et je reste ! Si vous me quittez tous, ils me prendront ici…. Et les soldats, devant le courage endurci,
De ce brave homme au ventre épais, gros comme quatre, Dominaient leur faiblesse et retournaient se battre.
***
A cinq heures, malgré l’affreux bombardement, On tenait, on tenait toujours, obstinément.
Tout à coup, le clocher, sous un obus énorme, S’effondre…. Epoussetant du doigt son uniforme, Le général se lève, et reculant un peu,
Sa chaise, se rassoit et demande du feu,
Pour son cigare, éteint par ce flot de poussière. Puis, à son Ordonnance :
– Apporte de la bière….
Dans ce petit café…. Tache d’avoir cela….
Avec quelques biscuits. J’ai soif. Je t’attends là….
Et, comme le soldat apportait la bouteille,
Un officier anglais, jeune, mine vermeille.
Arrive à plein galop, saute à terre, et gentil,
Souple, correct, s’en va tout droit à Grossetti.
– Pressé, mon général, très pressé…. Cette lettre….
– Merci, merci, Monsieur…. Mais veuillez-vous remettre.
D’abord vous avez chaud…. Faites-moi le plaisir,
De gouter avec moi, pendant ce court loisir.
Je voudrais vous offrir le thé règlementaire….
Mais nous ne sommes pas dans la belle Angleterre !….
Rien qu’un five o’clock bien simple de soldat….
Un obus gigantesque à vingt mètres s’abat.
L’anglais, crâne pourtant, hésite un peu, recule….
– Rassurez-vous, Monsieur…. Leur tir est ridicule….
Et de mon five o’clock ils n’auront pas raison.
Un biscuit, voulez-vous ?….
Le mur d’une maison s’effondre avec fracas….
– La bière semble fraiche….
Buvez, Monsieur, pendant que je lis la dépêche….
Et la dépêche lue avec placidité :
– Répondez que l’on peut, sans être inquiété,
Tenter le mouvement de flanc que l’on propose.
Je tiendrai, j’en réponds, jusqu’après la nuit close,
Par devoir…. Aussi bien que pour mon agrément.
Je suis gros ; la chaleur m’éprouve infiniment,
Et voyager de nuit m’est bien plus salutaire….
Brusquement un shrapnell éclate à ras de terre,
Projette des éclats de fonte et des cailloux….
Et le général dit à l’anglais !
– Fumez-vous ?
Allons Monsieur, prenez…. Pas de cérémonie….
Ils sont bons…. Et j’en ai ma poche très garnie….
Un obus tombe encore :
– Ils ne tirent pas bien,
Je vous l’ai dit, Monsieur…. Beaucoup de bruit pour rien….
Votre divin Shakespeare eut ainsi pris la chose….
***
Une minute après, le jeune Anglais…. Moins rose,
Peut-être un peu…. Très peu, cependant…. S’en allait,
Admirant hautement ce bonhomme replet,
Ce brave, qui, parmi la mitraille en délire,
Raillait son embonpoint et citait du Shakespeare !
***
Un soir, au cantonnement, appuyé contre une barrière, il prenait le frais, en fumant sa pipe.
Il avait une petite veste de toile bleu, et sur la tête un calot de simple soldat.
Passe un ordonnance avec une planche, qui lui en plaque un grand coup sur les f…ormes. Le général se retourne brusquement; l’ordonnance le reconnait, blêmit, et balbutie: « Ma… Mon… général…, je croyais que c’était Georges… un copain… » « Eh bien ! Mon vieux, dit le général en se frottant le bas du dos, même si c’eut été Georges, tu aurais pu taper moins fort!
***
Un jour, il allait aux lignes. Il avait oublié le mot qu’il venait de donner. Une sentinelle l’arrêta.
– Halte-la, qui vive?
– Le général…
– Le mot, rebondit le poilu.
– Mais je suis le général Grossetti.
– Evidemment, vous en avez l’air, répliqua l’autre, mais si vous étiez notre général vous sauriez le mot. Au large!
Et le général fut obligé de revenir sur ses pas pour le demander, non sans murmurer: – Hé! Hé! Je fais mon petit Napoléon.
***
Un jour, après une attaque, un coureur se présente. C’est un instituteur des Pyrénées. La plaque de son ceinturon venait d’être trouée par une balle.
– Il le regarda dans les yeux et simplement.
– Tu me feras l’amitié de trinquer avec moi, n’est-ce pas.
Et le grand chef fit asseoir le soldat a sa modeste table et but avec lui. Quelques minutes après, un autre bonhomme se présente a lui, l’héroïsme brulait dans ses yeux. C’était un ancien garçon de café.
– Merci, mon vieux, lui dit Grossetti, tiens, voilà cent sous.
Il avait compris, rien qu’en les voyant, ce qui plairait le plus à l’un et à l’autre. Tout vrai chef est un psychologue.
***
Un jour d’avril 1916, vers 10 heures du matin, le brave général Grossetti visitait une batterie aux environs de S…
Il s’arrêta devant une énorme cloche, solidement fixée à un arbre, et demanda à quel usage elle servait. Le commandant de l’unité répondit qu’elle permettait d’alerter en cas d’attaque avec émission de gaz. Voulant en faire l’expérience, le général secoua la cloche d’un bras puissant… et quelle ne fut pas sa stupéfaction de voir surgir des abris les servant munis, non de leurs masques, mais de… bidons et de marmites, car les cuistots se servaient journellement de la cloche aux gaz pour annoncer l’heure de la distribution des vivres et de la soupe.
***
Je ne sais, ce qui restera demain de la 42e division, mais, tant qu’il restera un homme, l’allemand ne franchira pas la ligne du chemin de fer.
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LE « FIVE O’CLOCK » DU GENERAL
-Voulez-vous me faire, le plaisir de vous asseoir auprès de moi. (Illustration Georges CONRAD)