Le 2 août 1914, la gendarmerie vient nous éveiller à 11heures du soir .
Les gendarmes étaient émus et surexcités: la guerre était déclarée,la mobilisation générale
décrétée. Je courus éveiller le secrétaire et le garde champêtre ainsi que tous les employés
de la commune , gardes forestiers ,cantonniers ,etc., qui partirent dans toutes les
directions pour avertir les hommes qui devaient aller sous les armes .
Le règlement stipule qu’en pareil cas , on doit sonner le tocsin.
Je ne le voulus pas de peur de porter l’épouvante dans tout le village
D’ailleurs , ce n’était pas nécessaire ; une heure après , tous les habitants étaient sur pied et on ne voyait que pleurs et rassemblements partout .
Le lendemain , toute la population conduisait les soldats à la gare.
L’on vivait dans l’anxiété .
Les jours suivants , les journaux rapportaient déjà des détails sur la bataille de Liège.
Entretemps , nous avions mis sur pied la garde civique et elle faisait des patrouilles jour et nuit.
Le 8 au soir , vers 10 heures , une patrouille amena chez moi une automobile occupée par un
officier et quelques soldats français passant en éclaireurs.
Le lendemain , les troupes françaises faisaient leur entrée à Bertrix à 6 h00 du matin .
Ils ne firent que passer . Les éclaireurs prussiens firent leur apparition et venant du côté de Neufchâteau , ils obligèrent un habitant à les conduire jusque sur la route de Paliseul , puis le renvoyèrent .
Comme tout le monde avait porté des vivres aux soldats français , la population allait se trouver sans pain . Je télégraphiai au gouverneur de la Province , j’obtins cinq wagons de farine .
Ce même jour , eut lieu une escarmouche entre les éclaireurs français et allemands à Menifays.
Quatre cuirassiers français restèrent sur le terrain et un lieutenant allemand .
La distribution de la farine m’empêchad’aller sur place. Le lendemain de grand matin , j’allai constater et ramener les cadavres au cimetière de Bertrix. Mais ils étaient déjà dépouillés , sauf Paul Tual, un cuirassier français qui avait son porte-feuille troué par une balle et renfermait 250 francs.
Le lieutenant allemand avait sur lui 120 marks en or que nous mîmes dans un sachet avec quelques menus objets dans une armoire du bureau communal .
Plus tard , des troupes allemandes logées dans le bureau forcèrent l’armoire et firent main basse sur le sachet et son contenu.
Lorsque les parents du lieutenant vinrent chercher le corps, nous leur racontâmes l’histoire; ils étaient consternés !
Le 15, la procession de l’Assomption se déroula en chantant le Miséréré au milieu
de la tristesse générale .
Quelques jours avant le 22 , beaucoup de personnes prirent peur , on disaient que les Allemands
approchaient , et elles vinrent chercher des passeports pour filer en France .
Quelques-uns n’allèrent qu’à Auby
d’autres restèrent en France tout le temps de la guerre .
Le 21 août , nombreux passages de troupes françaises et beaucoup ont logé . Le 22 , au matin , le village était rempli de troupes françaises qui abattirent un aéroplane « Taub » allemand pendant la matinée.
L’après-midi , passages de troupes venant du côté d’Herbeumont et se dirigeant en partie sur la route de Libramont pour aller se battre , quelques heures après , dans le bois de Luchy et sur le territoire de Bertrix « devant Luchy ».
La bataille commença à 14h30. L’artillerie française est restée sur le terrain .Il paraît qu’elle s’était trop avancée. Par un hasard extraordinaire , il y avait une compagnie allemande cachée dansle bois . Elle n’avait pu rejoindre le gros de l’armée allemande à cause de l’arrivée des Français. C’est ce parti de soldats allemands placés entre les deux qui tuaient les estafettes allant chercher du renfort sur la route de Bouillon .
Lorsque les premiers débris de l’armée française repassèrent par Bertrix , beaucoup de gens de Burhaimont se sauvèrent du côté de la rue du Culot .
J’envoyai mes trois fils , Emile , Jules et Louis avec une jument et son poulain âgé de 1 an et demi pour les conduire devant la Haye dans ma pâture . Les Français, en s’enfuyant , coupèrent les fils et les deux chevaux sotirent et se firent ramasser le lendemain par les Allemands. Trois mois après, j’allai reconnaître ma jeune pouliche à Martilly chez un appelé Baucant qui , après des hésitations et des difficultés , me fit payer la pension de 150 frs plus 4 frs de ferrage pour l’avoir laissée maigrir .
Pendant la bataille, tout monde était caché.
Un obus énorme comme un pain est tombé derrière notre maison dans le jardin de Mme Pierlot ; par bonheur , il n’a pas éclaté .
Une bombe incendiaire tomba sur l’école des sœurs et y mit le feu . J’arrivai le premier à l’école et dis aux sœurs : « Savez-vous bien que vous brûlez ? »
Elles sortaient de la cave avec les blessés français . J’allais au voisinage chercher du monde mais personne n’osait encore sortir . Cependant , on n’entendait plus que quelques rares coup de fusils.
A la fin , ils se décidèrent et nous nous mîmes à sauver les meubles.
Vers 19h30 , sept cavaliers Allemands vinrent demander le maire ; on leur indiqua l’école . Je me présente , alors ils me disent : « veuillez nous suivre ! ».
Chemin faisant , l’officier me demanda si je n’avais pas peur. Je lui répondis que non , que j’étais un pauvre père de famille , que j’avais sept enfants et que je supposais bien qu’on ne me voulait pas de mal .
Ce dont j’avais le plus peur en montant Burhaimont
c’est qu’il y ait des soldats français embusqués pour tirer sur les cavaliers et comme j’étais au milieu d’eux , je pouvais écoper d’un coup de fusil .
Cependant, en sortant du village, je fus vite rassuré
On ne voyait pas un homme, on entendait quelques coups de fusil du côté du quartier des Flèches .
Une maison et un hangar brûlaient .Celui qui m’avait amené me fit avancer et dit à celui qui était probablement le chef , d’une voix ironique: »saluezMr le Maire ».
C’est vous qui êtes le Maire ? me dit l’officier .
Oui, j’ai cet honneur .
Y-a-t-il encore des français à Bertrix ?
Non, je ne crois pas qu’il y en a encore …
Alors je lui dis : « Vous allez entrer à Bertrix , on vous fournira tout ce que vous demandez. J’espère que vous ne ferez pas de mal et que vous respecterez nos femmes et nos filles . »
Réponse : « Nous ne sommes pas des sauvages .Mais vous répondez de nous si on tire sur vous. Vous savez , c’est la guerre ! »
Alors ils se mirent en marche, moi entre les premiers cavaliers,
mais comme les chevaux marchaient vite , je ne pouvais les suivre qu’en trottant et je fus viteau milieu de la bande .On ne voyait toujours personne .
Arrivés devant notre maison, ils dirent tous » Delogne » tour à tour comme mot de passe probablement . J’étais étonné , ils ne m’avaient pas demandé mon nom .
Ils se mirent sur la place tout autour en rond . Une charretée de foins destinée aux Français fut vite distribuée. Tous ceux qui étaient présents furent obligés d’aller chercher de l’eau pour les chevaux .
Croyant ma tâche finie, je voulus retourner chez moi. Je m’adressai à un qui parlait
bien le français .Alors il parla à un chef et j’eus la permission de retourner chez moi un moment, accompagné de 3 soldats.
En entrant chez nous, un des trois soldats , s’adressant à ma femme, lui dit: Madame, ce n’est pas le moment de pleurer. Votre mari doit nous suivre , il est notre prisonnier et si , pendant la nuit, il se produit quelque émeute, ou bien que l’on tire… il fit le geste en tendant son fusil vers moi .
Ma femme : « Monsieur, nous vivons en plein XXème siècle et je suppose bien que vous n’allez pas le tuer, il ne peut répondre de tout le monde . »
« Oh madame ,que voulez-vous, c’est la guerre . »
Alors ma femme lui demanda la permission de m’embrasser, de me faire une tartine et de me donner un manteau pour la nuit . Nous retournâmes sur la place et j’allai loger chez Mme Ponsar avec eux , ils m’invitèrent même à dormir près d’eux sur la paille . Ils me laissèrent aller le dimanche 23 , vers 3h30 du matin . Alors , commença le passage des troupes ; 60 heures durant , jour et nuit, les soldats ,équipages, canons,automobiles passèrent, c’était un train d’enfer, surtout vers le matin . Quels gros chevaux il y avait , je les admirais .
Le 23, le médecin-chef et des officiers vinrent chez moi inspecter des logements pour les blessés.
Finalement , ils décidèrent de s’installer à l’école communale , à la maison Dumont et Badart .