Extraits d’une conférence donnée par Louis Garros à Rouen en Juin 1929.
Les combats du 22 Août 1914 à Rossignol dans le Sud de la Belgique par le Corps d’Armée Colonial.
En 1914, les troupes coloniales stationnées dans la métropole, formaient un total de 12 régiments d’infanterie et 3 régiments d’artillerie stationnés à Cherbourg (1°R.I.C.), Brest (2° R.I.C.), Rochefort sur mer (3° R.I.C.), Toulon (4°et 8° R.I.C.), Lyon (5°et 6° R.I.C.), Bordeaux (7° R.I.C.°), Paris (21° et 23° R.I.C.), Perpignan Cette (24° R.I.C.).Marseille (22° R.I.C.)
L’artillerie était un peu éparpillée : Lorient et La Rochelle (1er R.A.C.), Cherbourg et Brest
(2ème R.A.C.), Toulon, Marseille et fort de Charenton (3° R .A.C.)
A la mobilisation, chaque régiment d’infanterie forma un régiment de réserve à 2 bataillons portant le même numéro que lui, augmenté de trente. Ces unités de réserve furent au début assez diversement employées : plusieurs entrèrent dans la composition de certaines divisions de réserve, d’autres renforcèrent les garnisons des places fortes.
Avec l’artillerie et dix des régiments actifs, fut constitué, pour la première fois en campagne, un corps d’armée colonial, dont le général Lefèvre, titulaire du poste en temps de paix, à Paris, prit le commandement. Ce corps fut complété par l’adjonction d’unités de cavalerie, du génie et de services pris dans la métropole ou en Afrique du Nord.
Le corps colonial devait comprendre, une fois réuni sur le pied de guerre, deux divisions d’infanterie, chacune à deux brigades de deux régiments à trois bataillons de 1000 hommes, plus une cinquième brigade indépendante comme réserve d’infanterie ; deux régiments d’artillerie divisionnaire à trois groupes de trois batteries ; un régiment d’artillerie de corps à 4 groupes de 3 batteries, un régiment de cavalerie de corps à 4 escadrons ; deux escadrons divisionnaires ; un bataillon de génie comprenant 2 compagnies divisionnaires de sapeurs, deux compagnies de corps, une compagnie de parc et un équipage de pont ; les différents échelons de parc, les convois, les trains, les sections de munitions, le service de santé etc.
Au total, 30 bataillons d’infanterie, 6 escadrons de cavalerie, 30 batteries de 75, 6 compagnies du génie.
Les escadrons divisionnaires de dragons étaient composés de réservistes et venaient de Vincennes. Le 3° chasseurs d’Afrique arrivait d’Algérie où il tenait garnison à Constantine et Sétif. Il avait embarqué à Alger le 5 août sur la Savoie et la Tafna, et débarqué à Cette deux jours après. Reparti par voie de fer, le 8 août, il séjournait à Lyon du 9 au 12 pour s’y compléter en matériel. Les compagnies du génie venaient de Versailles. Les sections de munitions avaient été complétées par celles du 49° d’artillerie, venues de Poitiers.
Il y avait donc des éléments de toutes sortes, mais cela n ‘empêchait pas le corps d’armée colonial d’être un beau corps, probablement même le plus beau de l’armée française. Tous les régiments possédaient un cadre important de soldats de métier, rompus à toutes les fatigues, vétérans des campagnes coloniales, très aguerris. Les engagés volontaires de longue durée étaient nombreux, troupes ardentes, instruites, d’un moral élevé. Officiers et sous-officiers connaissaient la guerre pour l’avoir longtemps faite. Vaillance calme et forte. En un mot, instrument de combat très solide. C’est avec confiance que le corps d’armée colonial va marcher à l’ennemi.
Le Sud de la Belgique et ses grandes forêts d’Ardenne
Quand on franchit la frontière pour passer de France en Belgique entre Moselle et Meuse, le pays garde, l’espace de 99 kilomètres, l’aspect lorrain. De Longwy à Arlon, quoique les cotes 400 et au-dessus ne soient pas rares, sont encore les champs arables et le sol brun, non gris ; cependant les grands bois commencent, les champs se raréfient au fur et à mesure que l’on progresse vers le nord ; de l’est à l’ouest, les forêts s’épaississent autour de la frontière. A proximité de Longwy, la forêt des Monts, les bois de Musson, le bois de Pas-Bayard amassent déjà sur de vastes étendues leurs ombres profondes. Plus à l’ouest, la jonction de la vallée du Ton et de la vallée de la Crusnes fait comme une péninsule de forêts, bois de Guéville, bois de Labaut, et, de l’autre côté de la rivière, bois d’Etalle et de Saint-Léger, bois de Robelmont. Puis, toujours d’est en ouest, les ombrages deviennent de plus en plus denses : c’est la grande forêt de Merlanvaux, la forêt d’Orval, abritant les ruines de la vieille et puissante abbaye ; ce sont les forêts de Neufchâteau et de Luchy, celles de Chiny, d’Herbeumont, la forêt de Bouillon, et enfin, résumant tout, l’immense forêt des Ardennes.
La forêt d’Ardenne réservait de lourdes surprises aux troupes françaises. Car, ici, le pittoresque prend un caractère stratégique : la forêt défend partout ce sol, par lui-même difficile.
La Semois est resserrée entre des rochers monstrueux, elle se creuse un chemin si difficile que dans ses plis et replis, elle ne parcourt, entre sa source et son embouchure que 46 km avec un développement de 137 km.. Elle coule entre deux murailles. Les gués sont nombreux, mais l’ascension des bords qui les surplombent est rude.
LA 3° DIVISION COLONIALE SE MET EN MARCHE VERS ROSSIGNOL
A la pointe du jour, l’avant-garde quitte Saint-Vincent.
C’est le 2° bataillon du 1er R.I.C. qui part tout d’abord. Les hommes n’ont pas mangé depuis 24 heures à cause des déplacements continuels et le départ est si brusque qu’ils n’ont pas le temps d’avaler leur café. Ils n’en conservent pas moins leur bel entrain. Tout le monde flaire l’approche de l’ennemi et cette pointe de danger n’est pas pour déplaire à des coloniaux. L’ennemi, on ne sait pas où il est. Mais l’ordre est de marcher vite et l’étape, on le prévoit, doit être d’une quarantaine de kilomètres.
Le régiment de chasseurs d’Afrique s’est arrêté à Valensart. L’ordre du C.A.C. lui arrive à 5 heures du matin. Il n’y a pas une minute à perdre. Le régiment doit rester intercalé dans la colonne pendant la traversée de la forêt. A 6 heures, le régiment en marche par Jamoigne, Termes, dans l’ordre suivant : 2° escadron à l’avant-garde ; 1er escadron, deux pelotons du 4° escadron, section de mitrailleuses, train de combat , 3° escadron. Pendant sa marche il ne cesse d’être inquiété par les éclaireurs ennemis qui courent sur ses flancs. Les chasseurs arrivent ainsi, avant l’infanterie, aux abords de Rossignol. Le peloton du lieutenant Jaud’huin y est reçu à coups de fusil. Le 2° escadron va opérer la reconnaissance du village . Le régiment met pied à terre le long de la voie de chemin de fer. Il est 7 heures 30.
C’est à 8 h. que débouche vers Rossignol l’avant –garde de la 3° D.I.C.. Cette avant-garde a traversé la Semois à 6 h.30.
Il fait une chaleur humide et le brouillard est épais. Le pont de Mesnil-Breuvanne a été dépassé sans incidents, et, à ce moment, c’est à dire vers 8 h.30, lorsque le 3° régiment de chasseurs d’Afrique a pris sa place dans la colonne, celle-ci se déroule ainsi depuis Rossignol jusqu’à Saint-Vincent et au-delà, les unités séparées par les distances réglementaires.
LA 3° D.I.C. EN MARCHE
Elle s’échelonne sur la route suivant les prescriptions du service en campagne. On ne peut s’étonner que d’une chose : c’est que le commandant de corps d’armée ait cru devoir réserver sa meilleure cavalerie –le 3° chasseurs d’Afrique – pour l’utiliser au débouché des bois, au lieu de la lancer franchement en avant.
Vers 7 h. du matin, l’avant-garde pénètre dans la forêt. Elle a huit kilomètres à faire pour en déboucher. Le lieutenant –colonel Vitart a reçu ordre de prendre position à la sortie des bois, face à Neufchâteau et d’attendre les unités qui le suivent.
La route qui traverse la forêt sur un parcours de 5 km. débute par 1500 mètres de côte. Le sommet est un endroit propice pour la défense.
Presque en même temps, il est averti qu’un escadron de uhlans a pénétré dans la forêt. Il fait prendre les dispositions d’usage. La compagnie de pointe se déploie. Mais, peu d’instants après, un autre ordre parvient au lieutenant-colonel Vitart, lui prescrivant de continuer tout droit sur Neufchâteau sans s’arrêter.
On avance donc. Pas bien loin. La compagnie Fouques n’a pas fait 1500 mètres sous bois qu’un feu violent de mousqueterie l’arrête. Tous les renseignements reçus s’accordant pour conclure que les ennemis sont au moins à une trentaine de kilomètres à l’est de Neufchâteau, il ne peut donc s’agir que de cavaliers pied à terre… Le lieutenant – colonel Vitart donne l’ordre aux trois autres compagnies du bataillon Bertaux –Levillain (compagnies Lacourrière, Simon, Ignard) de se déployer à droite et à gauche de la compagnie Fouques pour déborder cet ennemi trop audacieux. Bientôt le lieutenant –colonel a l’impression que le feu s’étend sur les flancs du bataillon engagé : ce ne sont donc pas des cavaliers mais de l’infanterie. Il rend compte dans ce sens. En réalité, c’est le 157° R.I., avant-garde de la 12° division allemande.
Mais le temps a passé. Déjà, le reste de l’avant –garde va être forcé de s’engager : le général Montignault et le colonel Guérin sont sur la ligne de feu. On ne voit rien… D’ailleurs, la fusillade crépite sous bois. Il n’y a aucune surprise, aucun flottement. Mais toute manœuvre est impossible : l’ennemi est dissimulé dans les hautes futaies et tire à coup sûr. Les officiers, les hommes tombent. La batterie d’artillerie qui marchait avec l’avant –garde est immobilisée. L’infanterie part, la baïonnette haute.
DEVELOPPEMENT DU COMBAT AU NORD DE ROSSIGNOL
Il est déjà plus de 9 h. du matin. Immédiatement après le 1er R.I.C. venait, on se le rappelle, le régiment des chasseurs d’Afrique du colonel Costet. Les chasseurs ont vu les dragons refluer et les marsouins se déployer à droite et à gauche de la route. Un ordre arrive, prescrivant au colonel Costet de se porter, avec tout son monde , à l’ouest de la cote 358 pour prolonger la ligne des tirailleurs d’infanterie. Les chasseurs d’Afrique vont demeurer là, au combat à pied, jusqu’à 10 h.30.
Du côté ennemi, à 9 h.15, arrive le 63° R.I. prussien et les batteries qui prennent position .
Pendant ce temps, le gros de la 1° brigade atteint Rossignol et le dépasse. Le 2° R.I.C. pénètre dans le bois. Le colonel Gallois porte ses deux premiers bataillons en avant. Le 3° bataillon est ainsi fractionné : à 9 h.15, les 9° et 10° compagnies (capitaine Kerhuel et Dehaye) sont désignées pour servir de soutien à l’artillerie divisionnaire. Les deux autres compagnies 11° (capitaine Paris de Bollardière) et 12° (capitaine Dardenne) sont placées à l’est et à l’ouest de Rossignol, face à la forêt.
La batterie d’avant-garde du 2° d’artillerie coloniale, quelque peu bousculée, a pris position sur les deux ailes, à 600 mètres au nord de Rossignol, face à la forêt.
L’ennemi ne va pas tarder à passer à l’attaque. Toute une division est là, déployée et progressant vers l’ouest. Et, on peut dire que vers 10 h. du matin l’encadrement des cinq bataillons qui luttent dans la forêt est à peu près complet. L’artillerie s’en mêle et les obus commencent à tomber ferme sur les batteries divisionnaires et leurs attelages échelonnés du bosquet Pireaux aux premières maisons du village. La 9° compagnie du 2° R .I.C. dégage le 1er groupe serré de près à l’ouest. Les 11° et 12° compagnies du même régiment, restées seules compagnies de repli, organisent tant bien que mal, la lisière nord de Rossignol avec la compagnie du génie 22/2 (capitaine Dumont). La carrière à l’ouest de la route de Neufchâteau, à 250 m. de la lisière du couvert est solidement tenue.
Le déploiement de l’artillerie divisionnaire n’est pas encore achevé à 9 h. Les batteries se sont établies par pièces accouplées, de chaque côté de la route. L’artillerie allemande a pris position, principalement sur la cote 441. Elle va concentrer une partie de son tir sur le pont de Breuvannes. La nôtre accomplit des prodiges. La 2° batterie (capitaine Pull), la 3° (capitaine Duhatois), la 23° (capitaine Germain) sont particulièrement atteintes.
A 10 h.30, la situation est celle-ci dans la région de Rossignol :
Engagés dans la forêt : les 3 bataillons du 1er R.I.C. et 2 bataillons du 2° R.I.C. avec le général Montignault.
Entre le bosquet Pireaux et Rossignol, 8 batteries du 2° R.A.C.C. fort malmenées. La batterie de l’avant- garde n’existe plus.
A la carrière , sortie nord de Rossignol, 2 compagnies du 2° R .I.C. et la compagnie 22/2 du génie.
En soutien de l’artillerie, la 9° compagnie du 2° R.I.C. La 10° compagnie est partie renforcer le général Montignault.
LE 3° R.I.C ET LES CHASSEURS D’AFRIQUE.
Que se passe t-il du côté de Breuvanne ?
Sur Rossignol, attaque une division du VI° corps allemand. L’autre division de ce corps d’armée ayant trouvé la route libre, attaque la 3° D.I.C. sur sa droite, à l’est de la route de Breuvanne à Rossignol. La 11° D.I. a , en effet, dépassé Tintigny. La 22° brigade se dirige sur Saint-Vincent. La 21° brigade va être aux prises à Bellefontaine avec l’avant –garde du 2° C.A.
A 9 heures, le 3° R.I.C. se déploie donc, face à l’est, entre Saint-Vincent et Mesnil-Breuvanne, car il est déjà sous le feu de l’artillerie allemande. Marchant en petites colonnes, il évolue, le 3° bataillon (commandant Mast) et le 2° bataillon (commandant Chibas –Lassalle) en première ligne, le 1er bataillon (commandant Sauvage) en réserve, à cheval sur la route . Le général Rondony, commandant la 3° brigade, qui marchait en tête de son régiment, s’est porté de sa personne vers Rossignol, dès le début de l’action et il a été prendre les ordres du général Raffenel.
A 10h. 30, celui-ci a envoyé l’ordre au 3° régiment de chasseurs d’Afrique de couvrir un groupe de l’artillerie divisionnaire sur la route Breuvanne- Rossignol. Le colonel Costet redoutant un mouvement ennemi sur sa droite détache ainsi son 3° escadron : deux pelotons (adjudant-chef Boursier et lieutenant Humbert) aux ordres du capitaine Chanzy vers Marbehan et Orsainfaing ; un peloton (sous- lieutenant d’Yturbide), à l’est de Breuvanne, vers Ansart ; un peloton (adjudant Bidault), sur Valensart, pour la liaison avec le gros du corps d’armée. Le reste du régiment traverse Rossignol, prend la route de Breuvanne, remonte avec les batteries à travers champs. Cela a demandé une heure.
A 10h. 30 également, le général Rondony a envoyé de Rossignol, l’ordre suivant , au colonel Lamolle, commandant le 3° R.I.C. : » Suivez comme soutien l’artillerie divisionnaire qui marche sur Rossignol « . Les bataillons, qui faisaient face à l’est, reçoivent l’ordre de se porter face au nord. Le colonel Lamolle essaie de manoeuvrer sous la protection du 3° bataillon. Seul, ce bataillon réussira à franchir la Semois. Des deux autres, le 2° accueilli vers 11h. à la sortie du bois au nord-est de Breuvanne par des feux d’infanterie, de mitrailleuses et d’artillerie est obligé de se déplacer face au nord –ouest, puis au nord ; le 1er doit se terrer à la cote 325, au nord –est de Breuvanne. Ces mouvements se croisent avec ceux du régiment des chasseurs d’Afrique. Après avoir accompagné l’artillerie, le colonel Costet, ayant appris qu’une batterie allemande se trouvait en position à 2500 mètres à l’est, veut l’attaquer en la prenant par Breuvanne. Il aborde avec ses cavaliers le pont de la Sisane, mais se trouve en butte là, à des feux de mitrailleuses partant de l’est à moins de 200 m.. Il n’en pénètre pas moins dans Breuvanne encombré. Le pont de la Semois est bombardé, la direction de Saint-Vincent impraticable. L’infanterie ennemie n’est d’ailleurs pas loin de la route… Alors le colonel décide de battre en retraite par la ferme du Mesnil vers Saint –Vincent en laissant l’escadron (capitaine Chaverondier) aux lisières sud de Breuvanne.
Le 7° R.I.C. ET L’ARTILLERIE DE CORPS
Au sud, déjà l’ennemi occupe Tintigny.
Le 7° R.I.C., dernier régiment de la division dans l’ordre de marche, était à Saint-Vincent à 9 h .30. Le Général Lefèvre, commandant le corps d’armée, l’arrêta et le 1er bataillon (commandant Sévignac) fut envoyé vers l’est. Il était à 11 h. sur la croupe 385. Le 2° bataillon (commandant Savy) fut ensuite porté au nord-est face à Tintigny.
Le régiment d’artillerie de corps, 3° R.A.C.C., avait doublé au trot les formations d’infanterie qui l’encadraient et les reconnaissances des trois groupes s’étaient portées en avant pour préparer l’entrée en action . A la route au nord de Saint –Vincent, le colonel Lenfant rencontra le commandant de corps d’armée et son Etat-major. Il reçut l’ordre de faire taire une artillerie ennemie qui tirait sur le groupe.
Liberté d’allure fut donnée aux trois commandants de groupes qui opérèrent isolément : les 2° et 3° groupes se déployèrent dans les avoines mûres , le 2° avec ses trois batteries face au nord et à l’est, le 3° installé aux lisières d’un bois à l’ouest de saint –Vincent, orienté nord –est . Le 4° groupe reste embouteillé dans le village avec les échelons. A partir de 11 h., plus d’ordres. Les batteries tirent sur les lueurs qu’elles aperçoivent. La 23° (capitaine Minault) est décimée par un tir progressif bien réglé.
L’AGONIE DE ROSSIGNOL.
A Rossignol, la lutte continue, ardente.
A midi, le 3° bataillon du 3° R.I.C. (commandant Mast) est arrivé dans le village, à la défense duquel il va concourir. Son chef y sera cinq fois blessé.
A 13 h. les débris des cinq bataillons de la forêt se replient, réduits de moitié. Le colonel Gallois, commandant le 2° R.I.C. a été grièvement blessé ; le lieutenant-colonel Vitart du 1er R.I.C., a eu le bras gauche emporté. De nombreux officiers sont tués et blessés. L’artillerie se fait détruire en détail. Le lieutenant-colonel Gadoffre, qui a pris le commandement du 2° R.I.C. et le commandant Wehrlé s’arment d’un fusil et entraînent une centaine d’hommes contre une compagnie ennemie qui s’avance au nord-ouest du village. Ils reviennent à quinze… Le commandant Rey tient ferme à l’est. Cependant l’ennemi progresse toujours. Des groupes de marsouins et de soldats du génie se barricadent dans l’usine Hurieaux qui fait face à la forêt.
A 14 h. , l’ennemi prononce une attaque terrible sur le village, de trois côtés à la fois, au nord, à l’ouest , à l’est : le cercle va se refermer. Le général Montignault qui est sorti de Rossignol avec des débris de toutes les unités, se défend âprement entre le bosquet Pireaux et Breuvanne. Le général Rondony tient au nord et à l’ouest. Le général Raffenel s’est installé au sud-est du parc du château. Le bataillon Mast, du 3° R.I.C., cherche en vain à rétablir la liaison avec le reste du régiment resté de l’autre côté de la Semois. La mêlée devient terrible… Sous un soleil de plomb, tout le monde se bat avec un acharnement inouï et les marsouins , les bigors tombent de tous côtés, dans l’effrayant cercle de feu qui les entoure.
A l’ambulance Vanderstraeten- Ponthoz gisent un millier de blessés. C’est d’une horreur sans nom. Le général Rondony , entouré d’une poignée de braves, veut les protéger. Il s’est placé au pied d’un arbre qui surplombe la route de Breuvanne, face au bâtiment de l’école communale. Deux pièces de 75 sont amenées à bras pour tenter une dernière défense. Il y a là, le commandant d’artillerie Cherier, le lieutenant Psichari – l’auteur de l’Appel des Armes et du Voyage du Centurion – le lieutenant –colonel Gadoffre, quelques mitrailleuses et environ 200 hommes. Le groupe est bientôt repéré. Gadoffre et Cherier sont blessés, Psichari tué. Le général Rondony, écrasé et tourné, se porte vers Ansart. Blessé à l’avant –bras, il tombe près d’une haie. Il sera tué le lendemain par une patrouille. Le général Montignault est fait prisonnier près de Breuvanne.
Le général Raffenel groupe ce qui reste de l’héroïque 1ère brigade coloniale, pendant que les artilleurs enclouent leurs canons. Ils en enclouent 32. Le général de division tente une percée vers la Semoy… On a retrouvé son corps près de Mesnil … Le commandant Wehrlé est tué à trente mètres de l’ambulance qu’il défendait encore avec quelques hommes.
Finissons-en avec ce sublime sacrifice.
Le commandant Rey réussit à grouper encore quelques hommes. Il put sauver le drapeau du 1er R.I.C. qui portait à sa hampe la croix de la légion d’honneur ; un sergent prit la soie et la roula autour de sa poitrine, sous sa capote. Le commandant garda la croix et le capitaine Paris de la Bollardière eut la cravate. Le drapeau du 2° R.I.C. parvint jusqu’à Villers sur Semoy, où ceux qui le portaient, se voyant dans l’impossibilité de s’échapper, l’enterrèrent. L’emblème fut retrouvé après la guerre et rendu au régiment.
De l’artillerie rien ne subsista. Des fantassins purent s’échapper. Mais des artilleurs , aucun, pour ainsi dire, ne put franchir le cercle de fer et de feu qui entourait Rossignol. Le 2° régiment d’artillerie coloniale fut considéré comme entièrement détruit et ne fut reformé qu’en 1917.
A 19 heures, l’ennemi était maître de Rossignol, et sur cette partie du champ de bataille, le feu était éteint.
LE FLANC DROIT ENFONCE
On se rappelle que le colonel Costet avait laissé le 1er escadron de son régiment à Breuvanne, pied à terre, cette mince ligne de cavaliers prolongeait au sud le 3° bataillon du 3° R.I.C. qui faisait face à l’est entre Rossignol et Breuvanne. Le peloton du lieutenant Freyssenge était à l’ouest de la route de Tintigny, face au sud -est ; les pelotons du lieutenant Vacherand et de l’adjudant-chef Maylin étaient à l’est de la même route, face à l’est ; le peloton du sous –lieutenant Pierson était demeuré à cheval à la sortie nord de Breuvanne. Les fantassins allemands étaient à peine à 200 mètres. L’escadron tint une heure et donna au reste du régiment le temps de se dégager. Puis, le mouvement débordant s’accusant de plus en plus, le capitaine jugeant sa mission terminée, fit remonter ses chasseurs à cheval. Les pelotons se rassemblèrent à la ferme du Mesnil, mais tombèrent sous le feu de l’artillerie. Ils essayèrent d’atteindre un bois situé à quelques centaines de mètres à l’ouest de la ferme. Mais le cercle se refermait. L’escadron, un moment affolé, tourbillonna sous le feu des mitrailleuses. Quelques cavaliers essayèrent de gagner Rossignol où le 3° escadron était enfermé. Le capitaine Chaverondier et l’adjudant –chef Maylin restèrent seuls dans le bois avec 6 hommes. Ils se mêlèrent à des débris du 3° R.I.C. et se serrèrent autour du drapeau de ce régiment. Le groupe auquel ils appartenaient put se faire jour et arriver à Pin le 23 au matin.
Le 3° escadron envoyé par le colonel Costet vers Orsainfaing, n’avait pu atteindre ce village . Il reflua sur Rossignol, où il participa à la défense du parc du château. Il fut pris en entier, ainsi que la section de mitrailleuses du régiment qui était restée auprès de batteries du 2° d’artillerie colonial.
Les 1er et 2° bataillons du 3° R.I.C. avaient été sérieusement compromis sur les positions qu’ils avaient atteintes à midi : cote 325 et nord –est de Breuvanne. Les pertes furent terribles. A 14 heures, les bataillons étaient presque cernés. Le colonel Lamolle donna l’ordre de battre en retraite et les débris du 3° R.I.C . avec le drapeau atteignirent la route de Tintigny –Le Fresnois et put rejoindre à 21 heures, Pin. Le lieutenant –colonel Montreuil était tué.
DEFENSE DE SAINT-VINCENT
Jusqu’à 14 h., le 7° R.I.C. avait laissé son 1er bataillon à la cote 385 (est de Saint –Vincent) , et le 2° bataillon au nord –est de cette même localité, couvrant le déploiement de l’artillerie de corps. Les compagnies du 3° bataillon furent dirigées sur les ailes pour les renforcer. Les pertes sont lourdes. L’ennemi soumet nos troupes et en particulier les 5° et 6° compagnies , cramponnées à la cote 385 et à la ferme des Frenois, à un feu intense. Les nombreuses mitrailleuses installées aux lisières du bois, à l’est de Saint –Vincent balaient les glacis qui séparent les coloniaux du 7° de lui. Les compagnies sont ramenées plusieurs fois à l’assaut par leurs chefs. Les 5° et 6° compagnies, renforcées par des éléments des 9° et 11°, sont réduites à une vingtaine d’hommes sous le commandement des capitaines Ranc et Séchet. Il faut se retirer sur les lisières est et nord de Saint –Vincent. A partir de 13 h., les 2° et 3° groupes du 3° d’artillerie coloniale se sont repliés dans la direction Limes –Breux, vers la frontière Belge. Le 4° groupe, dont le commandant faisait de vaines reconnaissances faute de renseignements sur la situation, restait toujours à Saint- Vincent. Il se mit à la disposition du colonel Mazillier, commandant le 7° R.I.C. qui se trouvait dans un chemin creux, à la route nord de Saint -Vincent, près du cimetière, d’où il dirigeait le combat de son régiment pour protéger la retraite des débris de la division. La 8° batterie (capitaine Gauthe) prit position sur le petit plateau à l’ouest du cimetière et ouvrit le feu sur les allemands qui débouchaient à moins de 800 m. de Boqueteaux au nord. La 7° batterie (capitaine Simon) , en arrière et à l’est du cimetière fut gênée par des feux de mousqueterie qui provenaient justement de ce cimetière ; des allemands avaient pu y pénétrer. Le lieutenant Ferracci rassembla quelques servants et nettoya l’enclos à la baïonnette. La 24° batterie et les échelons étaient toujours à Saint –Vincent. A 15 h.30, le colonel Mazillier estima qu’il ne fallait pas se laisser déborder et prescrivit au commandant du 4° groupe de rejoindre son corps. La rupture du combat se fit par échelons de batterie, les échelons en queue.
Les Allemands attaquaient à 16 h., les lisières de Saint –Vincent. Jusqu’à 17 h.30, toutes ses tentatives pour déboucher des bois sont arrêtées net. L’intervalle entre les tirailleurs est de 15 m. ; cela peut faire croire à l’ennemi que le village est fortement tenu. Il se laisse prendre au subterfuge et attend des renforts pour recommencer. Ce n’est que par l’encadrement de Saint –Vincent qu’il obligera les marsouins à l’évacuer.
Le soir tombait sur le champ de bataille. Bien peu de ceux qui avaient combattu à Rossignol réussirent à s’échapper. Quelques centaines à peine repassèrent la Semoy, mais la plupart étaient morts ou prisonniers.
LES PERTES
La 1ère brigade coloniale n‘existait plus en tant qu’unité constituée. Le 1er R.I.C. avait près de 2500 tués et blessés. Le 2° R.I.C. en accuse 2850. Le 3° R.I.C., 2085. Le 7° R.I.C., moins éprouvé 1500. Le 2ème d’artillerie coloniale est totalement détruit. Au 3° chasseurs d’Afrique, il reste la valeur d’un escadron et demi.
Parmi les officiers, le général Raffenel est tué ; le général Rondony, tué ; le général Montignault blessé et prisonnier ; au 1er R.I.C. , le lieutenant –colonel Vitart est blessé, les trois chefs de bataillon sont tués ; cinq capitaines, cinq lieutenants tués ; un capitaine et six lieutenants disparus, sept capitaines et treize lieutenants blessés ; soit la presque totalité des officiers du régiment ; au 2° R.I.C. , le colonel Gallois et le Lieutenant –colonel Gadoffre sont tombés ainsi que presque tous les officiers ; au 3° R.I.C., le lieutenant- colonel Mortreuil est tué et les pertes en officiers de la 3° brigade (3° et 7° R.IC.) se chiffrent par soixante ( tués , blessés et prisonniers). De l’artillerie divisionnaire, un seul officier a dû revenir, le capitaine Noir qui réussit à passer la Semoy à la nage vers 16 heures.
La 3° D.I.C. était complètement dissociée.
En tout cas, la bataille de Rossignol peut servir de modèle à la » bataille de rencontre » et constitue certainement un des épisodes les plus meurtriers de la première partie de la guerre. Sur toute cette partie du front de combat, les corps des III° et IV° armées se heurtèrent partout aux Allemands. Il n’y eut pas moins de douze rencontres : le 9° C.A. à Mézières, le 11° à Maissin et Paliseul , le 17° dans la forêt de Luchy où la 33° D.I. fut écrasée, le 12° à Névraumont, le C.C. à Neufchâteau et Rossignol, le 2° à Bellefontaine et Meix devant Virton, le 4° à Virton et Ethe, le 5° dans la région de Longwy, le 6° vers Spincourt.
Il en résulte de chaque côté d’un effroyable désordre.
Pendant 48 heures, on ignorera tout ou à peu près de la situation exacte. C’est ensuite le décrochage, qui s’opère sans difficulté. Pendant ce temps, l’Allemand commet des atrocités sans nom. Ce malheureux pays a été dévasté.
Extraits de textes publiés par l’Association des officiers de réserve en Retraite et Honoraires de Rouen et la 3e Région