Drames à Glaumont, Assenois & Blanche-Oreille près de Luchy

Cahier de E.  Labbé, curé à Assenois

Secteur de Glaumont

Ce qui suit est le témoignage de E. Labbé, curé à Assenois (Offagne)écrit le 9 février

1919 dans un cahier d’écolier qui est soigneusement conservé à l’école d’Assenois .

Lors des fêtes commémoratives de l’armistice , l’instituteur actuel ,Mr Juseret , en commente

quelques passages à ses élèves.

(Marcel Servais)

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17 Juin 1914, une cérémonie religieuse se déroule à Assenois dans la sérénité de nos villages ardennais sans jamais s’imaginer la torpeur qui va envahir ces gens quelques jours plus tard!

Paroisse d’ASSENOIS ( Offagne)

Voici d’après des témoins oculaires, le récit fidèle de la journée du 24 Août 1914.

Tout d’abord ,je ferai remarquer pour procéder par ordre, que la paroisse d’Assenois compte 3

sections ; Glaumont , Assenois et Blancheoreille. Chacune a son histoire à raconter 

 

Tout Glaumont brûle…

Dans la nuit du 23 au 24 Août, les allemands font leur apparition . Ils arrivent par groupes .

Les gens sont retirés chez eux :dans les foyers , on repose , plusieurs villageois pourtant sont debout :

on se doute bien qu’ils vont arriver et l’on veille . Jusqu’au matin tout est calme.

Aucun incident fâcheux. Vers 6 h00 , le gros de l’armée arrive.

Venant de Jéhonville ,d’autres à travers les champs et les prés , de la forêt de LUCHY

Ils débouchent dans le petit village . On reçoit ceux qui se présentent aux portes, on leur donne du lait ,

du pain , du jambon, on s’empresse de satisfaire dans la mesure du possible à

toutes leurs exigences . Mais voici que tout à coup des flammes s’élèvent ….

C’est la maison de M. Edouard DELVAUX située à l’extrémité du village

dans la direction de Bertrix , qui est en feu . Il est 6h 30 et bientôt les maisons voisines ont le même sort .

Pour quel motif les allemands provoquent-ils ces incendies ?

On l’ignore …

Ils arrivent dans une maison: « ouvrez la grange !   »

« Que voulez-vous faire ? »leur demande-t-on .

« C’est pour mettre nos chevaux !!! »

Et devant les ordres donnés, devant la force, on s’exécute. Dès que les portes sont ouvertes ,

des coups de fusils éclatent dans la direction du fenil …et sous l’effet des balles incendiaires ,

les récoltes sont en feu en un instant et la maison devient la proie des flammes .

L’opération terminée, on recommence à la maison voisine et bientôt tout Glaumont brûle . Les gens affolés se cachent en prenant la fuite.

Mr Alphonse GERARD, Auguste CLAUDE et Edouard DELVAUX , vers 6h30  , sont arrêtés et placés au bord d’une carrière prêts à être fusillés…

Ils sont remis en liberté quelques temps après par des soldats un peu plus humains qui leur disent de se cacher . Ils se cachent en effet et sont sauvés.

La bande de soldats qui a mis le feu aux premières maisons, (ils sont une douzaine) arrive en ce moment à l’autre bout de Glaumont en allant sur Assenois.

Sur leur passage, aucune maison n’a été épargnée, Tout est en feu. Les voici en face de la maison de Mme Gérard-Guiot.

Deux soldats entrent dans la grange, mettent le feu aux récoltes .

Mr Gérard voyant l’incendie de sa maison s’avance pour faire sortir le bétail resté enfermé dans les écuries.

Il fait quelques pas, une balle l’étend raide mort  sur la route.

Sa femme témoin de ce spectacle, son enfant dans les bras , s’enfuit en direction d’Assenois avec d’autres personnes du voisinage et vont se cacher dans le

bois Saint-Hubert à quelques distances de là.

Elles y restent jusqu’au lendemain matin . Joseph GERARD avait 39 ans , il fut la première victime de cette triste journée du 24 août 1914 .

« On eut dit que ces brutes prenaient un plaisir tout particulier à torturer les vieillards »

A 40 mètre de la maison à droite en allant sur Assenois , se trouvait la maison de

Camille Houchard. La maison a le même sort que les autres . Les habitants se couchent de différents côtés .

L’un des fils , Joseph , âgé de 20 ans , parvient à se cacher dans un petit réduit, un fournil, qui se trouvait à côté de la maison . Les soldats l’y découvrent et le font sortir.

Il avance quelques mètres et tombe frappé d’une balle , sur le bord du chemin .

Le soir de ce même jour , son père avec Mr.  J.E. Camus et J.B. Delvaux , un vieillard de 85 ans, étaient arrêtés et conduits les mains liées sur le dos jusqu’aux ardoisières

de Mme Pierlot distantes de 2 lieues environ . Le lendemain matin , ils furent délivrés et renvoyés .

A son retour , le pauvre vieux J.B. était plus mort que vif , accablé de fatigue ,de mauvais traitements , en sabots .Il ne pouvait plus se traîner

Quelques temps après, il mourait .

Drame de la famille DEVRESSE

A une vingtaine de mètres de la maison Houchard, à gauche en avançant sur Assenois et à peu près en face de la route qui descend sur Bertrix ,se trouvaient deux maisons ,les deux

premières de Glaumont .L’une était habitée par Joseph Hubert ,72 ans et sa sœur Marie ; l’autre par la famille DEVRESSE, le père , 82 ans , son épouse Joséphine Hubert et sa sœur Félicité, les

enfants Emile, 29 ans , Irma ,Célestine, Marie et son époux Joseph PHILIPPE , et leurs enfants revenus au foyer en prévision du danger .

Ces deux familles allaient l’une et l’autre se trouver sans appui, sans soutien .

Sur ces hommes innocents et inoffensifs (tout le monde s’accorde à dire que c’était la fleur du village ), les bandits allemands allaient assouvir leur rage et leur cruauté.

Après avoir mis le feu aux maisons, on crie le sauve qui peut. Les pauvres vieux n’avaient pas attendu ce moment-là pour se coucher. Le lendemain , Félicité Hubert qui s’était

réfugiée on ne sait où, fut retrouvée aussi morte que vive. Auguste , ce bon vieillard de 82 ans, aimé de tout le monde, fut retrouvé dans le jardin situé derrière la maison , le ventre entrouvert,

un spectacle épouvantable.

Il n’était pas mort sur le coup et son agonie avait dû être longue: dans le terre remuée, creusée autour de lui avec ses mains , on pouvait juger facilement

qu’il s’était débattu longtemps sous la morsure de la douleur.

Tous les autres membres de la famille , hommes , femmes et enfants , sur ordre des Allemands avaient été rassemblés et dirigés sur Assenois.

Un peu avant ce triste départ, un coup de feu avait retenti : Emile Devresse, le fils martyr, avait été atteint par une balle au-dessus du bras et avait l’épaule brisée.

Le cortège se mit en route au milieu des cris ,des ricanements, des mauvais traitement des soldats.

Joseph HUBERT , Joseph PHILIPPE , Emile DEVRESSE  marchent ensemble .

On les oblige à lever les bras et Emile , comme les autres doit obéir à l’injonction des barbares…

Il à l’épaule brisée mais qu’importe, et de force on maintient son bras élevé . Arrivés près de Assenois, les femmes sont dirigées sur Offagne , les hommes

sont conduits à Blancheoreille .  Ces pauvres femmes , les vieilles surtout ,furent l’objet de mauvais traitements; elles n’allaient pas assez vite au gré de leurs persécuteurs et on

les frappait de coups de crosse de fusil. Elles revinrent le lendemain pour pleurer sur la tombe de leurs martyrs .

Dirigés sur Blancheoreille , comme je l’ai dit plus haut , les mains étroitement liées avec des cordes ,Joseph

HUBERT , Joseph PHILIPPE  et Emile DEVRESSE furent conduits jusqu’au calvaire qui se trouve à l’extrémité du

hameau et là, dit-on, ils furent l’objet de toutes sortes de sarcasmes et de cruauté. De là , ils furent ramenés à Assenois

près de la maison de Mr. Auguste Sensique

.Là se trouvaient à ce moment , Mrs Bouillon et Jules Douret, arrêtés comme

prisonniers. Arrivés là, m’ont attesté ces deux témoins, Joseph PHILIPPE , Joseph HUBERT et Emile DEVRESSE

furent placés à côté de la maison Sensique, alignés le long du mur . Le peloton d’exécution se trouvait au-delà de la

route à une dizaine de mètres . On tire … Ils tombent …

Cependant l’un des soldats se détache, franchit le muret qui  borde la propriété Sensique

et d’une balle tirée à bout portant achève Joseph PHILIPPE et lui ouvre le crâne .

C’en est fait de leur long martyre.

Le lendemain seulement on viendra les reconnaître et sans cercueil , sans démonstration aucune

on les déposera dans la fosse commune creusée par leurs concitoyens .

Cinq maisons incendiées;

La ferme de Mr Théophile Ansay, les maisons de Mr Eugène Coutelier, de Mme veuve, Thirifays, de Mr Nevraumont et le presbytère .

Ici, les Allemands arrivent déjà le dimanche 23 Août vers 9h00 du soir. Ils défilent toute la nuit; de temps en temps on entend tirer des coups de fusils. Vers 1h30 de la nuit, des coups de

canons , et c’est ainsi que sont provoqués les incendies, la ferme Ansay d’abord est la proie des flammes, puis les maisons voisines et le presbytère :

toutes ces maisons, sans aucune raison sont bombardées, incendiées.

C’est le lundi matin (la bataille a eu lieu le samedi) plus de Français au village, ou plutôt si, des blessés que des gens ont recueillis et qui sont soignés à l’école. Ils sont une centaine environ

et c’est à les soigner, les panser que se dévouent quelques jeunes gens de bonne volonté du village

Parmi eux se trouve Arsène Gillard de Blanche-oreille, 27 ans , qui depuis la veille leur prodigue ses soins et son dévouement. Il avait passé la nuit auprès d’eux, quand , vers 3h00 du matin ,

les Allemands se saisissent de lui et le conduisent dans la grange de la maison voisine.

Là, dans l’obscurité, sans témoin, ils accomplissent leur forfait. Arsène est fusillé. Plus tard, dans la matinée, quand on ouvrit les portes de la grange, on trouva son corps étendu et déjà glacé.

Acharnement sur des blessés Français

Cette victime ne suffisait pas pour assouvir leur vengeance, leur cruauté.Il y avait, ai-je dit, à l’école, une centaine de blessés , des Français .Parmi eux, les Allemands choisissent huit des

plus valides.

On les emmène, puis , sans être vus de personne (une femme seulement dans la nuit entrevoit leurs sanglots), on les conduit derrière la maison de Mr Constant Ansay et c’est là, qu’eut lieu leur martyre.

Le lendemain , mardi, quand les civils furent appelés pour les enterrer, leurs visages

étaient horriblement défigurés, couverts de plaies saignantes, labourés de coups de sabre et de baïonnette.

Pendant tout ce temps-là, l’incendie dévorait les maisons que j’ai citées plus haut .

Extrait de sa cave pour être fusillé …

Dans la ferme de Théophile Ansay , le

fermier Ernest Borzée avec toute sa famille ,aussitôt après les premières bombes tombées sur la

maison, s’étaient réfugiés dans la cave . Ils y étaient encore le matin et le feu descendait .

C’est alors qu’un voisin charitable et dévoué , Mr Hyacinthe Ansay intervient auprès d’un officier

allemand et obtint la permission de leur porter secours. Avec trois autres civils du voisinage , il

s’approche du soupirail de la cave et on se met en devoir de pratiquer une ouverture suffisante

pour les tirer de leur affreuse prison . Des soldats interviennent et bientôt le travail est terminé et

l’ouverture suffisante pour leur livrer passage .

Le fermier sort le premier et puis les enfants, sa femme et d’autres, mais, oh ! Horreur !!, à peine

sorti que des soldats se saisissent de lui, le conduisent dans l’écurie qui jusque là , en partie a

échappé aux flammes et là , il est fusillé puis brûlé .

Ce n’est que le lendemain que sa femme éplorée et ses enfants orphelins sauront ce qu’il est devenu.

Pendant ce temps-là, tous étaient sortis de la cave ; un seul restait: César Haas, le domestique ,44 ans

Pour celui-là, point de pitié…il doit rester dans la cave !

Et il y restera en effet: des fusils sont braqués à l’ouverture du soupirail… On tire ; le pauvre César est frappé et tombe mortellement blessé. Le lendemain, on pourra

retirer son cadavre pour l’ensevelir avec ceux de ses concitoyens frappés avec lui .

Mr Hyacinthe Ansay , à l’intervention duquel la famille du fermier Borzée devait son salut, après la libération de ces infortunés était rentré chez lui.

Sa maison est voisine de celle du fermier, le chemin seul les sépare. Quelques instants se passent , puis tout à coup

les soldats font irruption chez lui et obligent tout le monde à sortir. On s’exécute ,les femmes s’en vont du côté de

Blancheoreille,Hyacinthe avec son vieux père sont prisonniers.

Sur ordre des Allemands, Hyacinthe Ansay donne le bras à son père et on prend la direction de Glaumont.

On passe devant la maison Houchard. Sur le bord de la route , il reconnaissent le cadavre de Joseph Houchard . On les introduit dans un parc , dans une prairie qui se trouve tout

près de là, à côté du chemin d’Assenois à Bertrix. On leur dit qu’on va les fusiller . On les laisse là

quelques temps , puis une deuxième , une troisième fois on revient , la même menace toujours à la bouche : » Vous fusillés ! »

Et ils attendent d’un moment à l’autre l’instant fatal … sans espoir de salut ! Puis, voici qu’

après toutes ces menaces on les fait sortir, on les ramène à Assenois , près de l’école, on les introduit dans la grange de la maison voisine .

En entrant… un cadavre… le cadavre d’Arsène gillard. Hyacinthe tient toujours son vieux père par le bras .

Il fait quelques pas… deux coups retentissent. Ils tombent l’un et l’autre ! Hyacinthe seul est atteint et tué

Constant tombé avec lui fait le mort . Peu après, on le relève et on le conduit à l’Eglise. Là , déjà sont arrêtés

et enfermés sept autres civils d’Assenois ; ils y restent tous jusqu’au lendemain matin .

Ils sont l’objet de toutes sortes de mauvais traitements. On leur crache à la figure ,on les menace de les fusiller

Le mardi donc, ils sortent de l’église et on les conduits jusque Bertrix.

Arrivés là, on les remet en liberté et ils rentrent enfin dans leur foyer vers 10h30.

2 autres noms figurent dans la nécrologie de ce jour; Jean-Baptiste Lagneaux, 40ans, et Alexis Hubert,67ans

Jean-Baptiste Lagneaux fut tué le lundi matin entre 8 et 9h00 , près de la maison de Auguste

Sensique.Il sortait de cette maison pour retourner chez lui, quand des soldats allemands se mettent

à crier après lui. Apeuré ,il s’enfuit élevant les bras comme pour demander grâce.

Aussitôt ,un coup de feu retentit et une balle l’étend sur la route .

Alexis Hubert , personne ne sait exactement la fin tragique de ce pauvre malheureux. Ce que l’on sait

c’est que lundi soir vers 8h00 ,il est emmené de Blanche-oreille à l’église, le visage couvert de sang.

Il a tiré sur nous ! Crie les boches. Aux mains de ces brutes ,ivres de sang…

Les gens de Blanche-oreille , il est facile de le comprendre, étaient sous le coup de la terreur

en apercevant Glaumont et Assenois dévorés par les flammes des incendies.

Aussi, vers 8h00, quand on annonce l’arrivée des Allemands, la plupart s’enfuient par les jardins,

les prairies et les champs jusqu’au « Fat  » bois le plus rapproché du hameau.

Vers midi, les plus hardis se décident à revenir , mais à peine sont-ils sortis du bois,que non

loin de là, sur la route de Jéhonville-Assenois, les troupes qui défilent les ont aperçus.

Des sifflements de balles se font entendre; moment de panique .

Mais bientôt, les soldats voyant qu’ils n’ont affaire qu’à des gens paisibles, cessent le feu .

Ils s’approchent… » Vous, pas Français ? » . »Non ,des Belges du petit hameau là-bas;nous avons eu peur;

nous nous sommes cachés « .

Et alors, on leur dit de sortir et, au milieu des soldats, ils reviennent à Blanche-oreille. Seulement

on leur dit qu’ils passeront le conseil de guerre. On les conduit près de l’église ; les hommes sont

fouillés puis, après bien des inquiétudes, tous sont remis en liberté et regagnent leur maison pillée

et dévastée.

J’ai fini. Je n’ai cité que les traits saillants de cette triste journée du 24 août 1914

Ce que j’ai dit suffit pour donner une preuve irrécusable de la brutalité, de la cruauté, de la barbarie allemande .

Tout ce que j’ai dit est l’exacte vérité et répond parfaitement au récit que m’ont fait des témoins oculaires, absolument sincères et dignes de foi.

ASSENOIS, le 09 février 1919

Copie conforme à l’original est à l’Evêché de Namur, le 11 février 1919

E . LABBE , curé à ASSENOIS

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